La crise sanitaire a révélé l’importance d’une coordination fluide entre les services de l’État et ceux des collectivités ainsi que d’un partage efficient des responsabilités, qui laisse sa place à des approches différenciées en fonction de la diversité des situations locales.
Les attentes sont élevées d’un plan de relance qui réactive sans délai les dynamiques socio-économiques des territoires et accélère leur transition écologique.
Gestion de la crise sanitaire
Le modèle gagnant est celui qui sait faire coopérer les différents niveaux de gouvernement
La crise sanitaire et ses corollaires économiques et sociaux ont de fait une dimension territoriale forte. Au sein des pays de l’OCDE, les réponses apportées par les États et collectivités varient beaucoup suivant la répartition institutionnelle des compétences, mais rien ne permet d’affirmer la supériorité d’un modèle sur un autre (décentralisé par exemple). En revanche, la qualité de la coopération entre les différents niveaux de gouvernement s’est avérée déterminante. Les territoires seront doublement pénalisés par la crise, avec des dépenses accrues et des recettes fiscales en baisse. Il faudra être très vigilant, alerte Dorothée Allain-Dupré (OCDE), car les investissements des collectivités locales, soit 60 % de l’investissement public, risquent de servir de variable d’ajustement. En 2008 : il a fallu 10 ans pour retrouver des niveaux d’investissement d’avant-crise.
Le mythe du couple maire-préfet
En France, une cellule de crise de 70 personnes dirigée par le préfet Thomas Degos s’est installée dans les sous-sols du ministère de la Santé pour « travailler sur tout ce qui n’était pas sanitaire ». L’échelon régional, celui des agences régionales de santé, s’est vite révélé trop hospitalo-centré ; le départemental était quant à lui complexe : « on touche aux limites de la visio ». Le « couple maire-préfet », souvent présenté comme le maillon fort du dispositif national de coopération, est-il un mythe, comme l’affirme Pierre Laplane (Strasbourg) ? Il n’est pas le seul à témoigner dans ce sens. Nicolas Proust (Montreuil) évoque l’hôpital intercommunal, entièrement livré à lui-même car hors des radars de l’Agence régionale de santé, et qui a dû faire appel à la ville de Montreuil pour fournir ses repas au plus fort de la crise. Lauriano Azinheirinha (Nice) appelle à ne pas oublier les EPCI et souligne que le maire peut certes fermer une école s’il estime qu’il y a un danger, mais que ce n’est pas de bonne politique que de le laisser seul face à cette décision.
« On ne pilote pas la crise, c’est elle qui nous pilote »
Pierre Laplane a vécu le « tsunami » qui s’est abattu sur l’Alsace au début de la pandémie. Comme lors des attentats, il faut savoir transformer l’émotion en résilience, et le maire joue ici un rôle clé. Mais, pour participer aux décisions de l’État, « il a fallu s’imposer » et la crise a révélé les insuffisances de l’organisation. À l’inverse, elle a accéléré des processus de coopération déjà engagés avec le Département et la Région. Les conférences entre élus organisées chaque samedi par France Urbaine, et d’autres entre DGS, sont à maintenir dans « le monde troublé où nous sommes pendant très longtemps ». En particulier, il n’est pas certain que les nouvelles équipes municipales aient bien conscience de devoir revoir leur programme à l’aune de conditions économiques et sociales entièrement nouvelles. Lauriano Azinheirinha juge que l’administration est sortie grandie de la crise mais s’inquiète de la seconde vague : personne ne comprendra qu’elle ne soit pas aussi performante, or l’appui de l’émotion sera moins décisif. Pour l’heure, être à la fois sur le front du COVID et celui de la relance place les services face à des injonctions paradoxales quotidiennes.
Le fédéralisme, un modèle plus coopératif ?
Pierre Veltz estime que, même si les infrastructures de base ont bien tenu (hôpitaux, énergie, logistique) « nos États centralisés » auront du mal à gérer des crises à répétition, au déploiement exponentiel et aux effets très contrastés suivant les territoires.
L’Allemagne offre un contrepoint intéressant à la situation française puisque, schématiquement, ce sont, non pas l’État fédéral, mais les Länder qui sont responsables de la lutte contre la pandémie, avec une forte délégation de compétences à 380 services de santé communaux. Cela conduit forcément à des choix différents d’un Land voire d’une ville à l’autre, pour des raisons qui ne sont pas à 100% sanitaires, explique Stefan Hahn (Deutscher Städtetag), mais qui peuvent aussi être économiques ou politiques, et à des allers-retours sous la pression de l’opinion.
La Belgique a quant à elle souffert d’une organisation « chaotique », avec neuf ministres de la santé, et ses tentatives de « fédéralisme de coopération » ont été peu concluants. François Mengin Lecreulx (Pau) observe que cela interroge paradoxalement les aspirations françaises à la « différenciation ». De fait, répond Rochdi Khabazi (Bruxelles), il faut éviter d’accentuer les déséquilibres de moyens – la région capitale déjà structurellement fragile est fortement touchée par la crise – et de morceler la gestion territoriale de la pandémie en multipliant les règles dans un « petit pays ».
Plan(s) de relance et transition écologique
Territoralisation du plan de relance en France
« La territorialisation et les collectivités sont au cœur de l’exécution du plan de relance » expose Charlotte Gounod (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance) en détaillant les 5,2 Mds€ du soutien alloué au bloc communal et aux départements, et les 600 M€ délégués aux régions pour financer l’investissement dans la rénovation énergétique des bâtiments et la mobilité. Car il s’agit aussi de « construire la France de 2030 » suivant trois axes : la transition écologique, la compétitivité et l’indépendance technologique, la cohésion sociale et territoriale.
La baisse des impôts de production, pour soutenir l’activité et l’emploi dans des territoires, sera en outre compensée pour les collectivités de manière « certaine, dynamique et territorialisée ». La prochaine génération des contrats de plan État-régions (CPER) pour 2021-2027 associera les collectivités territoriales au plan de relance. Les aides à l’investissement seront ciblées vers les projets susceptibles d’avoir des effets immédiats sur la relance, avec des « réallocations en temps réel en fonction des retours du terrain » – ce qui promet de belles discussions. Olivier Landel (France urbaine) plaide pour des aides plus importantes aux budgets de fonctionnement, qui ont un fort effet de levier, et s’inquiète de la proportion des aides qui iront aux métropoles, et pas seulement aux villes moyennes et aux territoires ruraux.
… et en Allemagne
En Allemagne, explique Hilmar von Lojewski (Deutscher Städtetag), les soutiens directement alloués aux collectivités locales portent sur les frais de fonctionnement du logement social et des transports urbains, ainsi que sur la compensation d’un manque à gagner fiscal estimé à 12 Mds€ en 2020. Cela s’inscrit dans un plan de relance « future friendly » globalement tourné vers la stimulation d’une économie décarbonée.
Comment tirer parti du plan de relance pour accélérer les investissements en faveur du climat
Il est évidemment plus que souhaitable de conjuguer relance et réduction des émissions de GES, au moyen d’investissements ciblés. Benoît Leguet (Institute for Climate Economics – I4CE) montre que les finances publiques de la France, pour être en cohérence avec les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), devraient contribuer à l’effort de décarbonation à hauteur de 9 Mds€ supplémentaires chaque année, ce qui est cohérent avec le plan de relance, puis 22 Mds€ à partir de 2024, dont 3 Mds€ pour les seules collectivités territoriales.
Une partie de cet effort se fera en substituant des investissements « verts » aux investissements « bruns », mais Pierre Ducret (I4CE) prévient que les possibilités de substitution, d’après les premiers travaux de l’Institut avec les métropoles volontaires, sont malheureusement faibles pour les métropoles. Il y a aussi des ressources à trouver dans une meilleure allocation des budgets de fonctionnement, par exemple en mettant les usagers du service public à contribution (Laplane). De même, se demande Pierre Ducret, « Combien aurait coûté une bonne campagne de communication sur la limitation de vitesse à 110 km/h », mesure immédiate, efficace et peu coûteuse proposée par la Convention Citoyenne pour le Climat, mais tuée dans l’œuf par une opinion hostile.
Des conventions citoyennes dans les territoires ?
La Convention Citoyenne pour le Climat, justement, est-elle reproductible à l’échelle infra-nationale ? Oui, répond Léo Cohen, puisque la région Occitanie s’est déjà emparée du modèle. Les conditions de la réussite sont l’assurance d’un débouché politique, suffisamment de temps laissé à la délibération des citoyens et leur information approfondie avec le concours de scientifiques. Des scientifiques qui pourraient d’ailleurs être identifiés au sein des territoires, sans aller forcément chercher des pointures nationales. Il faut aussi limiter son mandat dans le temps, afin que les citoyens « ordinaires » ne deviennent pas politiques. D’où l’importance de les seconder dans leurs travaux, ce qui a été fait notamment par une équipe de juristes chargée de rédiger les propositions sous une forme réglementaire « prête à l’emploi ».
Nouvelles relations entre État et territoires
Vers une coopération « dépassionnée »
Yves Le Breton (ANCT) expose la mission, l’organisation et la feuille de route de la nouvelle Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, dont « la philosophie est de renouveler la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, de manière pragmatique et dépassionnée ». L’échelon départemental, qui est celui de la mise en œuvre – et de la sélection – des projets, est privilégié, le préfet étant le délégué départemental de l’agence. Il est aussi celui qui met en relation, pour les mutualiser, les ressources des différentes collectivités, d’ingénierie notamment. La « clientèle habituelle de l’ANCT est le bloc communal », ce qui justifie le « cri d’alerte » de Domnin Rauscher (AMP) : la structure polycentrique très spécifique de la métropole Aix-Marseille-Provence « n’est pas du tout comprise » et elle se voit systématiquement écartée des programmes d’appui dont les communes de son territoire devraient par nature bénéficier.
France Stratégie, observateur éclairé et éclairant des territoires
L’intervention de Gilles de Margerie (France Stratégie) est l’occasion d’évoquer l’apport à la compréhension des territoires de cette institution chargée d’éclairer les décisions du gouvernement.
On peut parler, à propos du Covid 19, d’un « choc darwinien » dont les entreprises fragiles ne se remettront pas, et espérer une reprise « schumpeterienne ». Les effets en seront à l’évidence très différents selon les territoires, comme le montre par exemple la carte construite par France Stratégie à partir d’un indice de vulnérabilité des zones d’emploi. Parmi les phénomènes peu connus, le comportement de mobilité des jeunes s’avère très discriminant dans la trajectoire économique et sociale des territoires, les différences tenant à l’équipement infrastructurel mais aussi, pour une part non négligeable, à des facteurs culturels. Et les trajectoires de vie sont corrélées au lieu de naissance, mais sans distinction entre rural et grande ville (mais d’un quartier à l’autre, si).
Différenciation : c’est le moment
Une crise sanitaire qui a largement révélé la nécessité de différencier les approches en fonction des territoires. Or le projet de loi organique sur la différenciation territoriale a justement été déposé en juillet. « C’est parmi les 3D celui qui est le plus important pour nous depuis 15 ans, se réjouit Olivier LANDEL (France urbaine). L’idée est que l’expérimentation devienne la règle sans que la généralisation en soit l’objectif. » Les 3D désignent les piliers de cet autre projet de loi très attendu – Décentralisation, Déconcentration, Différenciation – auquel Olivier Landel s’amuse à ajouter, en forme de clin d’œil, Dialogue et Démocratie. Parce que ce n’est pas tant le résultat, le schéma ou l’outil qui comptent que le processus qui a permis de le concevoir collectivement. Et ce en intégrant la mobilisation de la société, phénomène qui « nous a tous interpellés » durant cette crise.
Pierre Veltz abonde : »La confiance est essentielle et nous avons besoin d’espaces de discussion informelle. » Pierre Laplane évoque un glissement du rôle des collectivités vers celui d’acteurs du territoire, à la fois du dedans et en dehors de leurs compétences strictes. Emmanuel Rouède (Grenoble) témoigne d’un fort besoin d’expérimentation dans le domaine du volontariat citoyen notamment, et y voit plus généralement une voie incontournable sur le chemin de la transition énergétique.