La coopération public-privé au service des territoires
Six cas concrets, la référence du Royaume-Uni et les analyses du Latts pour la France ont fait émerger de nombreuses réflexions sur les notions de partenariat, de pouvoir et de service public. Les difficultés rencontrées dans les PPP, inhérentes au partage et au coût du risque, relativisent l’intérêt de ce montage sans condamner d’autres formes innovantes de coopération, à promouvoir.
Private finance in the UK
Au Royaume-Uni, le recours au privé pour financer ou gérer les services publics est en fait assez tardif comparativement à la France, qui a inventé le système des concessions dans les transports publics dès le 19e siècle. John Major lance les Private Funding Initiatives comme alternative “douce” aux privatisations pour alléger les finances publiques. Les projets se multiplient et se diversifient entre 2000 et 2007. La crise de 2008, et quelques échecs hospitaliers retentissants, viennent doucher l’enthousiasme. En 2011, un rapport dénonce le coût excessif des PPP, leur manque de flexibilité et leur opacité, et David Cameron prend beaucoup de distance avec eux. Le Royaume-Uni procède depuis l’origine à de très nombreuses évaluations, dont le bilan global s’avère plutôt négatif, comme le montrent les travaux Graham Winch. Niel Okninski explique que “l’un des principaux “avantages” – ou biais – des contrats de PPP, qui était de permettre aux collectivités locales de s’endetter au delà du plafond légal, a été supprimé en 2010. Ces contrats sont donc moribonds aujourd’hui.” De nouvelles formes de coopération se mettent en place, avec des interventions de l’État en fonds propres.
Une mode en France ?
Fascination à courte vue pour les innovations juridico-financières… Lobbying orchestré par les grands groupes avec la complicité des banques, des professions juridiques et même de la Caisse des Dépôts… Plusieurs participants n’hésitent pas à dénoncer un engouement quelque peu suspect pour le PPP, sur un “bruit de fond idéologique qui, comme l’analyse Michel Vayssié, veut que la bonne gestion des ressources ne soit pas suffisante. Il faut aussi de la performance. En régime de dé-puissance publique, le PPP devient presque la solution miracle à tout.”
Pas convaincus
Christian Fina démonte un par un les avantages supposés du PPP. “ L’apport de financement ? Le public est souvent majoritaire et le loyer revient plus cher qu’un emprunt. Un entretien mieux provisionné ? C’est un détournement de l’esprit du contrat et une charge supplémentaire pour la collectivité. Une meilleure maîtrise des coûts globaux ? Possible mais c’est le banquier qui en profite. Des délais plus courts ? Non si l’on tient compte des temps de négociation et de montage.” Vincent Bonnafoux affirme que “le surcoût financier est trop important pour être compensé par les avantages de délai ou d’acquisition de compétences.” Bertrand Uguen considère quant à lui que “l’entreprise a toujours une longueur d’avance sur la collectivité. Le PPP n’est pas un partenariat mais un combat.” Stéphane Barranger recommande avec humour de réserver le PPP aux dossiers simples et non urgents (à rebours, donc, des motivations légales) pour limiter la prise de risque par la collectivité.
Deux mythes persistants
La répartition des risques est la question centrale des PPP, car tout risque a un coût, que le partenaire privé ne manque pas de “pricer”. L’ordonnance de 2004 impose une analyse préalable des risques et une réflexion sur leur allocation entre les parties. Pierre-Aymeric Dewez connaît bien “cet exercice rendu difficile par la persistance de deux mythes : la possibilité de transférer 100% des risques au privé et la solvabilité illimitée de la personne publique qui serait son propre assureur.” Le partage de l’analyse des risques, pourtant nécessaire, tourne souvent au dialogue de sourds. “On s’en sort par le flou, l’ambiguité. On trouve un compromis rédactionnel qui permet d’avancer” témoigne Stéphane Barranger. En revanche, “il faut partir d’un cahier des charges très précis car tout élément technique non prévu au départ est une source de coût supplémentaire, grevé de frais financiers”, ajoute Patrice Lemaître.
Risques cachés et culture du risque
Thierry Guichard a traqué les risques cachés du contrat de PPP du stade de Bordeaux et apporté une série de réponses parmi lesquelles un “référentiel de mise à disposition” conçu spécialement (risque construction), une hiérarchisation des pièces du contrat qui fait primer l’obligation de résultats sur l’engagement de moyens (risque perfomanciel : “j’achète la performance de la chaudière, pas sa puissance”), une rédaction très contrôlée des causes légitimes de retard, qui peuvent cacher “des sommes colossales car tout décalage dans le temps génère des indemnités dues dans tous les compartiments du contrat” (risque délai). Il conteste l’absence de culture du risque dans les collectivités : “Nous savons gérer le risque technique, le béton armé n’est pas une science exacte. Mais nous n’en parlons jamais avec les politiques, et nous avons une approche sectorisée des risques. C’est plutôt la culture du partage et une approche globale du risque qui manquent. La survie des PPP se joue là.”
Pierre-Aymeric Dewez reconnaît que l’analyse des risques est une vraie lacune. “Paradoxalement, on passe autant de temps à comparer les différents montages qu’à analyser les risques qui constituent pourtant le cœur du sujet”. On manque d’outils opérationnels, les agents n’y sont pas formés surtout en logique de projet ou en fonctionnement transversal, toujours plus difficiles au sein des collectivités.
Les PPP sont-ils vecteurs de value for money ?
“On devine spontanément que le PPP coûte plus cher car il génère beaucoup de frais de financement, de transaction, de surveillance. Il faut donc s’assurer que les gains vont équilibrer ces surcoûts. C’est ce qu’on appelle le Value for Money”, explique Géry Deffontaines. Avec Élisabeth Campagnac, pour le LATTS, il a mis au point une grille de lecture objective des PPP. Selon les deux chercheurs, l’efficience du PPP ne doit pas se mesurer seulement à l’aune des résultats finaux, mode d’évaluation porteur de biais importants. Il faut aussi tenir compte du respect de ce qu’ils appellent les promesses intermédiaires, c’est-à-dire les progrès ou adaptations réalisés dans 4 domaines : maîtrise d’ouvrage, mise en concurrence, analyse financière, organisation. Supposées tenues, elle ne le sont pas nécessairement. Élisabeth Campagnac estime par exemple que les contrats passés par les collectivités, de 30 à 40 millions d’euros d’investissement pour la plupart, sont trop faibles pour justifier un PPP au regard des coûts générés.