A) Temps de travail, santé et parentalité
L’adaptation personnalisée du temps de travail gagne les collectivités ; encore modestes, les expérimentations sont plutôt positives.
Trois nouvelles autorisations spéciales d’absence expérimentées
La Ville de Lyon, dont 65 % des effectifs sont des femmes a mis en place de 3 nouvelles autorisations spéciales d’absence (ASA), dans un cadre expérimental, au 1er janvier 2024. L’objectif est d’aller vers plus d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et permettre de trouver un meilleur équilibre vie personnelle et vie professionnelle. En particulier, précise Emmanuelle Brissard, préserver la santé globale des agentes et leur éviter une pénalité financière (jours de carence) implique de s’attaquer aux tabous de la menstruation et des interruptions de grossesse.
L’ASA pour congé menstruel permet aux femmes souffrant de règles douloureuses de bénéficier de 2 jours d’absence ou de télétravail exceptionnel par mois, sur présentation d’un certificat médical. L’ASA liée à une interruption de grossesse, volontaire, naturelle ou médicale est également de 2 jours d’absence, à prendre dans un délai de 3 mois suivant l’interruption de grossesse en une ou plusieurs fois.
Enfin, l’ASA congé second parent donne droit à 10 semaines de congés, soit 6 semaines d’absence accordées à l’issu du congé paternité/d’accueil de l’enfant, pouvant être prises de manière continue ou fractionnée dans les 6 mois suivants la naissance.
Un bilan sera tiré à 6 mois afin mesurer le niveau de satisfaction et de sollicitation des ASA. Premiers résultats à 3 mois : 16 personnes ont pris le congé menstruel, 3 le congé pour interruption de grossesse et 4 le congé second parent. Emmanuelle Brissard s’attendait à plus de demandes de congé menstruel. Et en effet, au Grand Nancy, où un questionnaire a été proposé aux agentes, le nombre de règles douloureuses ou peu compatibles avec le travail de terrain a surpris les services par son ampleur, rapporte Stéphanie Ten Eyck.
La semaine de 35 h en 4 jours
À la Métropole de Lyon, l’annonce du passage à la semaine de quatre jours a eu un effet immédiat sur la marque employeur, avec une montée en flèche des candidatures. Il s’agit en réalité d’une expérimentation commencée en septembre 2023 selon trois formules au choix. Celle qui plaît le plus, c’est quatre jours et demi de travail dans la semaine avec une demi-journée prélevée sur les RTT.
À l’usage (6 mois), on constate que les agents proches de la retraite, ou au contraire jeunes sans enfants le vivent plutôt bien. Pour les premiers, souvent des femmes à temps partiel (80 %), le dispositif leur permet de passer à 100 % en travaillant 4 jours et d’améliorer leurs droits à la retraite. En revanche, les jeunes parents ne trouvent pas vraiment l’équilibre qu’ils recherchent avec leurs enfants et que les cadres réalisent qu’ils travaillent comme avant mais avec moins de congés.
Sur le plan de l’organisation, l’expérience – dont les conclusions doivent être bientôt tirées – se passe globalement bien, le report de charge sur les non expérimentateurs et sur les managers (urgences, réunions) étant faible à modéré, de même que les tensions dans les collectifs. En revanche, il devient plus difficile de maintenir/organiser les temps collectifs, avec le cumul des dispositifs (télétravail, semaine sur 5 jours avec beaucoup de RTT, temps partiels). Le ressenti des managers qui encadrent des expérimentateurs est quasi neutre. Deux conseils d’Anne Jestin aux DGS qui souhaiteraient se lancer (mais plusieurs l’ont déjà fait, Strasbourg notamment) : constituer une équipe projet pluridisciplinaire, avec des arbitrages pris par la direction générale et la vice-présidence, et mettre les managers au centre du dispositif en ayant soin de les accompagner. Éric Ardouin (Toulouse), s’interroge sur l’attractivité d’un dispositif qui revient à travailler autant en supprimant des RTT. La réponse, selon Domnin Rauscher (Marseille), tiendrait au fait que les jours d’absence n’ont pas à être négociés.
Politique familiale et gestion des ressources humaines en Suède
En Suède, la protection de la vie familiale est une véritable stratégie d’attractivité de la part de certains employeurs publics, en particulier pour attirer les cadres qui n’auraient pas de difficulté à aller travailler dans le privé. Il y a beaucoup de bienveillance vis-à-vis des parents avec jeunes enfants, allant jusqu’à valoriser les compétences liées à la parentalité telles que le sens de l’organisation. La législation suédoise est très protectrice dans ce sens, qu’il s’agisse des congés parentaux, des congés pour enfants malades, ou de l’accueil de la petite enfance. En ce qui concerne les congés parentaux, par exemple, le passage à 80 % payé 100 % (le complément étant apporté par la sécurité sociale) est très courant ; le droit au congé parental court jusqu’au 12 ans de l’enfant. Quant à l’accueil de la petite enfance, les petits Suédois ont une place en crèche garantie à partir de un an, avec une tarification très attractive. Les horaires de travail sont calés sur ceux des crèches.
Certains employeurs n’hésitent pas à être encore plus généreux. C’est le cas de la Ville de Stockholm, où Cindy Falquet elle-même se félicite d’avoir obtenu tout ce qu’elle a demandé à la naissance de ses enfants.
Le taux d’emploi des femmes et de 79 % soit le deuxième meilleur taux en Europe, la France étant à 75 %. C’était d’ailleurs l’intention du législateur socio-démocrate des années 1970 que de favoriser le travail des femmes dans un pays où le secteur public, qui explosait, avait un besoin crucial de main-d’œuvre. À l’époque la visée était donc plus économique que féministe. En 2022, un gouvernement de coalition droite-extrême droite a fait adopter de nouvelles mesures favorisant le recours aux crèches, mais il s’agit là d’une loi libérale, explique Cindy Flaquet, car ces établissements sont largement privatisés en Suède.
Des échanges nourris suivent ces présentations. Anne Jestin, par exemple, à propos du congé parental, considère que « c’est aussi au travers des pères que nous employons que nous œuvrons à l’égalité hommes-femmes ». Marc Pons de Vincent (Lille), reconnaissant la capacité des métropoles à entraîner le corps social, constate toutefois le manque d’évaluation de leurs politiques sociales et s’interroge sur « l’élasticité de ces organisations » : jusqu’à quel point pourront-elles intégrer l’individualisation du temps de travail et des rythmes de vie ?
B) Enjeux portuaires et industriels de la décarbonation
La décarbonation de l’économie se joue dans les métropoles, dans une étroite coopération entre puissance publique, industriels et recherche & développement.
Logistique, industrie et décarbonation à Fos-sur-Mer
Le port de Fos-sur-Mer représente pas moins de 10 000 ha de foncier. En 2019, un plan de rationalisation de son usage a été adopté. Sur l’ensemble de l’enveloppe, 3 500 ha avaient déjà été consommés et 3 000 ha étaient des espaces naturels préservés. Il a été décidé de sanctuariser encore 1 800 ha, qui pourront servir à de la compensation au titre de la ZAN car leur qualité environnementale n’est pas toujours parfaite. Restaient donc 1 700 ha sur lesquels 700 ha ont fait l’objet d’un moratoire et 1 000 ha ont été déclarés artificialisables, à raison d’un tiers pour de la logistique et deux tiers pour de l’industrie.
Passer le fluvial à 10 %, « un exploit »
Rémi Constantino tient a aborder le sujet logistique « souvent oublié dans le discours politique ». Précisons d’abord que, si le port est bien relié au système fluvial du Rhône par un réseau de canaux à grand gabarit, seulement 5 % du volume traité utilise ce mode, tandis que 20 % utilise le fer. Le reste se fait en camion.
Le marché connaît une sous-offre de foncier logistique aménagé, et la demande est très forte. Le port accueille aujourd’hui 1,5 M de conteneurs par an, volume qui pourrait doubler notamment en allongeant les quais pour accueillir les grands navires. À condition cependant d’atteindre par là l’objectif politique de doublement de la part modale du fer : autrement dit, il faudrait que 100 % des nouveaux conteneurs passent par le fluvial pour que sa part modale passe de 5 % à 10 %, « ce qui serait un exploit ».
Terrains industriels très convoités
La contribution à l’effort de réindustrialisation semble plus simple. Il est vrai que les sites offrant 200 ha d’un seul tenant ne sont pas légion. Pour autant le littoral ne doit pas être bradé. D’où ce critère, pour sélectionner les candidats à l’installation : « Cette activité a-t-elle un lien avec le portuaire ? ». Pour Solarcentury-Oxygn, par exemple, la réponse est oui : les matériaux acheminés sur son site par ce fabricant de panneaux photovoltaïques se substitueront aux produits finis livrés par les fournisseurs chinois, et la production sera locale. Deux autres industriels vont produire des carburants de synthèse à partir de l’hydrogène : leur présence est stratégique car ils vont permettre l’avitaillement des navires, ce qui sera absolument différenciant pour les armateurs.
Mille hectares ont été réservés pour « un projet qui va faire des étincelles », un site de production d’éoliennes flottantes. Une éolienne flottante fait 300 m de haut c’est comme une tour Eiffel posée sur un terrain de foot. « Nous avons quelque chose que les autres n’ont pas » se félicite Rémi Constantino : 80 ha de terre-plein plus 1 km de quai pour stocker les flotteurs. La production visée est de 25 flotteurs par an. Cette activité très rémunératrice doit contribuer à amortir les infrastructures, dont le coût est estimé à 550 M€.
PIICTO, industriels engagés
L’association PIICTO, Plate-forme industrielle et d’innovation du Caban-Tonkin (une zone du port sur environ 1200 ha), créée en septembre 2014, regroupe les industriels présents, afin de structurer collectivement les activités de la plateforme dans un objectif d’amélioration de la compétitivité et de développement d’activités industrielles et de l’innovation. Une vingtaine de membres qualifiés du territoire apportent leur appui. Un axe d’innovation est l’économie circulaire et la réduction des émissions de carbone, grâce notamment à la pépinière Innovex.
Sur ce dernier point, l’association a agrégé autour de ses membres une quarantaine d’autres industriels dans un rayon géographique plus étendu, qui émettent ensemble près de 20 Mt CO2 chaque année. Elle a été retenue suite à l’appel à manifestation d’intérêt ZIBAC (zone industrielle bas carbone) et travaille sur plusieurs sujets majeurs : l’électrification des usines et l’évaluation des besoins en électricité à l’horizon 2030, la production d’hydrogène et enfin le captage du CO2 d’origine industrielle. Cette ressource est destinée à la production de carburants « durables » pour l’aviation ou le transport maritime ou plus généralement à la chimie ; À défaut, son stockage géologique est étudié.
Ces travaux sont d’importance capitale pour le territoire et sa stratégie bas carbone, mais aussi pour le port qui doit s’attacher à conserver les entreprises présentes dans son emprise. Rappelons qu’Arcelor Mittal, ce sont 2300 emplois.
Une filière énergétique bas carbone aux ramifications multiples
Les pôles de compétitivité ont été créés il y a 20 ans pour soutenir des filières ancrées à des territoires, et jouer un rôle de tiers de confiance au centre de larges écosystèmes : entreprises sur toute la chaîne de valeur, laboratoires de recherche, organismes de formation, collectivités territoriales, financeurs… Cap Énergie soutient la filière énergétique bas carbone, dont les enjeux sont particulièrement nombreux, les usages de l’énergie représentant les 3/4 des émissions de GES à l’échelle du globe, rappelle Sylvain Brémond.
Rien que dans le solaire, par exemple, l’écosystème régional travaille au développement du solaire photovoltaïque sur différents milieux d’implantation (toitures, agrivoltaïsme, sites isolés, bâtiments, linéaire, flottant, etc.) et à la renaissance d’une filière industrielle solaire photovoltaïque. Mais le solaire est aussi thermique, couplé avec des pompes à chaleur, ou encore à concentration pour produire de la chaleur haute température pour les usages industriels. Citons aussi l’éolien flottant et la production de biogaz par des technologies émergentes (pyrogazéification, gazéification hydrothermale, etc.), ainsi que le développement du potentiel des micro-algues (capture CO2, production bio-carburants, etc.). Les autres enjeux sont le nucléaire, l’hydrogène, la mobilité bas carbone et la décarbonation de l’industrie.
AMP, 4e technopôle cleantech au monde
Le technopôle de l’Arbois, qui emploie 18 personnes, fait partie du réseau des technopôles de la métropole Aix-Marseille-Provence. Sa mission est d’animer et accompagner son écosystème de laboratoires de recherche et d’entreprises innovantes pour favoriser le développement de nouvelles connaissances, de produits et services contribuant à réduire notre empreinte écologique sur la planète. Plus exactement, il soutient les entreprises et laboratoires de recherche actifs dans les cleantech, spécialité dont il est le 4e représentant au niveau mondial. En 2023, l’investissement dans le secteur des cleantech en France a été de 3,4 M€, en très forte croissance. Le positionnement du technopôle de l’Arbois sur les cleantech – sa « révolution » selon les mots de Frédéric Guilleux – date de 2017 sur l’impulsion de Martine Vassal, présidente de la Métropole. Depuis cette date son activité a permis de créer 960 emplois, de lever 115 M€ et de déposer 118 brevets pour ne citer que quelques chiffres.
Le technopôle est l’un des rares en France à être géré en régie, ce qui lui confère une certaine sérénité économique, avec un budget de 2,3 M€ et des rentrées de loyer de 1,8 M€.
Innovations bluffantes
Il ne se prive par de recourir à la latitude offerte aux collectivités de passer des marchés publics sur des biens innovants « en gré à gré », ce qui permet « d’utiliser les innovations de ses pépites dans l’aménagement du technopôle ». Les exemples sont bluffants : un moteur qui convertit la basse chaleur fatale en électricité, un bioréacteur qui transforme les polluants de l’air en oxygène et en biomasse, un navire à propulsion hydrogène pour transporter des voyageurs dans la rade de Marseille, un process de construction modulaire hors-sol ultra bas carbone, une borne de recharge pour véhicules électriques intelligentes et ultra rapides, un boîtier adaptable sur tous les véhicules (retrofit) pour adapter le fonctionnement du moteur et diminuer drastiquement les émissions de gaz et particules fines, une station d’épuration par le bambou (sans boue) qui traite les eaux usées tout en séquestrant du carbone et en créant des îlots de fraîcheur…
Actuellement le technopôle est installé dans le domaine du Petit Arbois où il dispose de 60 000 m² dont un tiers de réserve constructible ; il étudie l’aménagement d’un second site dans le domaine du Tourillon, pour 48 000 m2 constructibles, qui sera dédié à l’industrialisation des innovations, afin de faciliter le parcours résidentiel des entreprises soutenues.