Les métropoles face aux défis de la cohésion territoriale et de la simplification administrative
La crise économique et environnementale accentue les difficultés des villes moyennes et des territoires périurbains ou ruraux, creusant l’écart entre ces territoires et les métropoles. Faut-il en imputer une part de responsabilité à ces dernières ? Comment mieux répartir les retombées de la dynamique des métropoles ? La fusion avec les départements est-elle une solution ? La rencontre a permis d’apporter des débuts de réponse, qui mettent notamment en évidence la nécessité d’approches contextuelles, différenciées et agiles.
Aix-Marseille-Provence, métropole atypique
C’est une métropole atypique à plus d’un titre qui accueille la 15e rencontre de BEST.
Communauté urbaine tardive (2001), Marseille a fait un pas de géant en devenant, le 1er janvier 2016, avec l’appui forcé de la loi, la plus étendue des métropoles françaises par la fusion de 6 intercommunalités. Atypique par sa taille (qui lui permet d’englober la quasi totalité des trajets domicile travail), sa diversité géographique et son caractère polycentrique, Aix-Marseille-Provence (AMP) Métropole l’est aussi par sa gouvernance. Les intercommunalités d’origine sont devenues des conseils de territoire exerçant par délégation des compétences opérationnelles de proximité. Certaines compétences ont également été restituées aux communes. Le sujet ne fait plus débat : aux communes la proximité, à la métropole la stratégie.
Un travail original de préfiguration a permis l’adoption à l’unanimité du projet Ambition 2040 mais sa mise en œuvre est une tâche colossale car elle ne peut s’appuyer sur rien de préexistant à cette échelle. Afin d’assurer la continuité du service public durant la phase de transition, 387 conventions de gestion ont été signées avec les communes.
Depuis que Martine Vassal, présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, a succédé à Jean-Claude Gaudin à la présidence de la métropole, la voie est politiquement dégagée vers un rapprochement des deux collectivités. Selon toute probabilité, le schéma marseillais consistera non pas à scinder le département comme dans le cas du Rhône, mais à fusionner la métropole avec le département.
Métropoles et cohésion territoriale : une brûlante actualité
Les métropoles ont été structurées par la loi entre 2014 et 2016 (après une première création légale en 2010) au moment inopportun où la crise économique les a fait montrer du doigt comme accaparant la croissance au détriment du monde rural ou périurbain (Bévort). Les gilets jaunes, en ce mois de novembre 2018, sont là pour le rappeler.
Ruissellement ou siphonage ?
Une étude commanditée par le ministère de la Cohésion des territoires invalide cette accusation globalisante en révélant des dynamiques très différentes selon les métropoles. Elle montre quand même que les métropoles de plus de 500 000 habitants tendent à se détacher du lot en termes de croissance.
L’analyse reste difficile à faire car coexistence n’est pas causalité (Fouchier). En outre, elle sera toujours sujette à discussion, tant la diversité des configurations géographiques, économiques et partenariales (coopérations) rend les comparaisons complexes : quelle référence adopter quand il n’y pas de métropole type, mais plutôt 22 modèles différents de métropole (Landel) ? Sans oublier que la croissance dépend aussi du dynamisme des filières économiques présentes, indépendamment de la dynamique métropolitaine (cas de Montpellier).
Olivier Portier a étudié les “mécanismes de solidarité territoriale spontanée”. Une première évaluation, à partir des flux de masse salariale “de l’EPCI vers sa couronne” et réciproquement, montre l’absence d’opposition entre l’urbain et le rural. D’autres travaux, inspirés par la géographe Nadine Cattan, vont plus loin en analysant d’autres relations ou migrations (résidentielle, scolaire, domicile travail, entre établissements, etc.). De telles données permettent de construire un socle minimal d’analyse des relations entre les métropoles et leurs hinterland. Il reste d’importantes marges de progrès dans les “angles morts” que sont les transferts d’énergie ou d’eau, l’autonomie alimentaire, la fuite des richesses, la fréquentation touristique, l’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi…
À chaque métropole son mode de relation aux territoires périurbains ou ruraux
De la part des DGS, la question des relations de la métropole avec les territoires qui l’entourent suscite une réponse unanime : Ça dépend !
À Rennes, la “métropole archipel” formée d’un noyau central, d’une ceinture verte et parfois agricole et de communes périurbaines est le fruit d’un projet délibéré : la recherche systématique du consensus et un bon usage des instruments réglementaires garantit un fonctionnement équilibré. À Marseille, l’étendue (3 000 km2) et la diversité interne du territoire métropolitain sont tels que les mécanismes d’entraînement et de solidarité se joueront à l’intérieur. À Strasbourg, métropole dense parmi d’autres, la question de l’entraînement vise au contraire clairement les territoires périphériques externes (y compris outre-Rhin), et le rôle de la métropole dans une nouvelle région Grand Est XXL et dans la perspective d’une fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin (Mulhouse). La périphérie de Dunkerque, c’est Lille, ce n’est donc pas précisément le monde rural. À Lyon, Vienne (38) et Villefranche (69) sont vues comme des relais de croissance pour la métropole. À Bordeaux, où le jeu des acteurs prime souvent sur la structuration institutionnelle, la “cellule” chargée de la coopération territoriale est débordée : la transformation de la communauté urbaine en métropole, avec son “effet waouh” a suscité des demandes en masse (suivies d’effets très concrets).
Bref, à chaque métropole son modèle de recherche d’équilibre / entraînement, sous-tendu par des logiques de coopération interne ou externe.
Vers des stratégies d’alliance ?
Le sujet est évidemment d’actualité puisque l’État rouvre aujourd’hui le dossier des métropoles en l’envisageant sous l’angle de la cohésion territoriale. Trois scénarios d’évolution sont identifiés : le scénario “fil de l’eau” conduisant à une “dissociation territoriale” ; le scénario “souhaitable” renforçant la cohésion territoriale à travers des coopérations “gagnant gagnant” prioritaires ; et un scénario “moyen” distinguant les métropoles de plus de 500 000 habitants des autres.
La cohésion territoriale renforcée devrait passer, notamment, par la simplification du “millefeuille”, toujours à l’ordre du jour, par la mise place d’alliances avec les territoires périphériques (confinant au devoir), mais aussi par une possible différenciation des modalités institutionnelles et opérationnelles. On peut espérer que ce dernier point empêchera l’État d’imposer des stratégies uniformes d’alliance avec les territoires limitrophes, c’est-à-dire définis par rapport au périmètre institutionnel des métropoles, qui, comme on l’a vu, n’est pas une référence pertinente en la matière.
Élan métropolitain et cohésion interne
Les relations externes des métropoles ne doivent pas faire oublier l’enjeu de cohésion interne.
À Nantes, communauté urbaine depuis 2001, où l’on pense “intégration plutôt qu’extension” (Parcot), le territoire est découpé en secteurs (dont des quartiers de la ville centre) et l’administration métropolitaine déconcentrée en autant de pôles de proximité. Les directeurs de pôles jouent un rôle important et chaque secteur contribue à la définition de la stratégie en élaborant un contrat de co-développement.
À Strasbourg, communauté urbaine aux services mutualisés avec la ville centre depuis 1972, l’unité de base reste la commune. L’idée d’une mutualisation plus étendue des services a été abandonnée, notamment sous la contrainte budgétaire, au profit de solutions ad’hoc variées : conventions, partages de moyens ou d’expertises, groupements de commandes…
Dans les deux exemples présentés, Nantes et Strasbourg (le cas particulier de Lyon est abordé plus loin), le fonctionnement est bien établi mais l’ambition métropolitaine, qui reste nécessaire pour aller de l’avant, tend à s’effacer au profit d’un certain repli sur le local.
Le cas de Montpellier est quant à lui représentatif de l’importance du contrat politique. Le “pacte de confiance” ayant été rompu suite à la “politisation de la gouvernance”, il a fallu une commission de contrôle portant sur les rapports entre la ville centre et les autres communes pour rétablir la confiance : “la transparence est essentielle” (Fina).
Introuvable périmètre
On sait que le périmètre idéal n’existe pas, puisqu’il n’est pas le même selon qu’on parle de tourisme, d’emploi, de démographie, etc. La vraie question est donc : comment travailler efficacement dans le périmètre sur lequel la métropole est légitime pour le faire (Landel) ?
Attention, pourtant, à ne pas faire son deuil de la notion de périmètre (Fouchier) : il permet de mettre en cohérence l’efficacité fonctionnelle et la gouvernance, de rendre l’action publique lisible pour le citoyen, de définir des priorités claires, des sujets qui ne sont pas mineurs dans le climat actuel.
À Montpellier, où le territoire est notoirement trop étroit eu égard aux enjeux métropolitains (l’aéroport est à l’extérieur) mais où le jeu politique est bloqué, la métropole développe des “accords de réciprocité” avec des territoires externes. Ce sont de “petits cliquets” qui permettent à des maires qui ne se sont pas parlé depuis 10 ans de le faire (Fina).
Autre exemple de territoire exigu : Bruxelles. La région de Bruxelles Capitale est à la fois l’une des trois régions de l’État fédéral belge, dotée d’un pouvoir législatif, et une métropole de fait composée de 19 communes. La Région capitale exerce sur ces communes un pouvoir de tutelle et leur alloue des ressources (avec une fonction de redistribution qui n’existe pas pour les métropoles françaises). Seize autres communes périphériques de son aire urbaine se trouvent soit en Flandres soit en Wallonie. La Belgique a bien créé en 2011 une entité institutionnelle appelée communauté métropolitaine, mais celle-ci est restée coquille vide, dans ce petit pays où tous les projets sont plus ou moins concurrents entre eux, ce qui freine toute velléité d’intégration (sans parler des frontières linguistiques et culturelles).
Le meccano, une réponse agile à la complexité
La différenciation des approches est fondamentale (Laplane) : pour être agiles les métropoles ont besoin de boîtes à outils utilisables en fonction des enjeux spécifiques auxquels elles font face, et qui sont évidemment différents selon leur taille, leur situation (transfrontalière pour Strasbourg et Lille), leur niveau d’intégration, leur histoire, etc.
Les outils existent. Certains marchent très bien, comme le pôle métropolitain. On peut aussi parler de la loi de 2010 qui permet aux métropoles de récupérer certaines compétences des départements. Rappelons en outre (Landel) que la loi MAPTAM confère à la métropole le rôle d’autorité organisatrice dans les compétences qu’elle possède (un texte qu’il serait utile de refaire circuler !). Une solution sous-utilisée est la commune nouvelle, vue à tort comme réservée aux petites communes rurales, mais qui peut très bien être adoptée à l’intérieur des métropoles. Ce qui manque, c’est une sorte de “feu vert” pour les utiliser, une impulsion venant de l’État (Landel), sans laquelle on assiste à une sorte de repli naturel sur le communal.
Décentralisation asymétrique
L’OCDE a étudié les phénomènes de “décentralisation asymétrique”, c’est-à-dire le fait d’octroyer par exception à certains territoires des pouvoirs législatifs, fiscaux ou administratifs spécifiques. Cette pratique a connu une forte accélération à partir des années 1990 et surtout 2000. Outre une meilleure prise en compte de la diversité des situations locales, elle permet de construire des stratégies sur mesure, favorise l’expérimentation et la mise en œuvre progressive de processus de décentralisation (cf. les régions suédoises). Elle n’est toutefois pas exempte de risques, tels ceux d’accroître les inégalités, de diluer les responsabilités, d’introduire de la complexité et de générer des coûts de coordination, et enfin de manquer de transparence pour les citoyens. D’où cinq recommandations : un projet mobilisateur, approprié par les parties prenantes clés, un financement pérenne, des contreparties incitatives aux compromis, un suivi et une évaluation.
Mécanismes d’adaptation locale de l’exercice des compétences
Bien qu’assez étrangère à la culture administrative française, l’idée de fonctionnements différenciés d’une métropole à l’autre fait son chemin au niveau de l’État (cf. supra), entre autres pour acter la diversité des réalités territoriales. C’est aussi reconnaître que, dans un système institutionnel français qui ne reconnaît pas de hiérarchie entre les collectivités, leurs compétences ne peuvent que se superposer, mais que des “mécanismes d’adaptation locale de l’exercice des compétences” (Auby) permettent quand même d’être efficace.
Les modalités sont nombreuses — transfert ou délégation de compétences, mutualisation des services, organisation de l’action commune autour d’un chef de file, concertation… — et l’efficacité globale de ces mécanismes semble plutôt bonne (action économique et sociale, transports, tourisme). On voit aussi que ces pratiques préfigurent des organisations futures. Faut-il les encourager ou les encadrer ? Il y a probablement des limites, mais comment les définir (Auby) ?
La question peut être posée autrement : Faut-il s’adapter ou s’attaquer à la complexité ? Il y a quand même un enjeu de démocratie car ces arrangements rendent l’action publique moins lisible pour le citoyen et pour le contribuable. Le risque d’accentuer le désamour du citoyen pour la chose politique ne doit pas être négligé (Fouchier).
Fusion des métropoles et des départements : une idée qui fait son chemin
Mariage à l’italienne : la Città metropolitana
L’Italie en est à sa troisième tentative de réforme institutionnelle (loi de 2014). Les città metropolitane (villes métropolitaines) se substituent aux provinces (équivalents des départements français) en reprenant leurs compétences, et en reçoivent d’autres en matière de stratégie et de développement économique et social. L’Italie conserve trois échelons : régions, provinces ou le cas échéant villes métropolitaines et communes, qui restent la cellule de base. Le maire de la ville métropolitaine est de droit celui de la ville centre, les conseillers métropolitains sont élus par les conseils municipaux. C’est un changement radical qui doit garantir l’alignement des intérêts communaux et métropolitains.
La réforme n’est pas exempte de critiques et peine à se mettre en oeuvre. La nouvelle collectivité ne serait pas structurée pour répondre concrètement aux enjeux métropolitains faute des compétences nécessaires : des politiques publiques ne font pas une stratégie métropolitaine (Vetritto). C’est aux régions, qui ont un pouvoir législatif, d’orchestrer le transfert des compétences des communes aux métropoles, on comprend qu’elles ne se précipitent pas pour le faire. Enfin, leur autonomie est aujourd’hui réduite faute de moyens financiers et le risque de politisation du fonctionnement est élevé (Vandelli).
Lyon / Rhône : hybridation en bonne voie
À Lyon, où la Métropole a repris les compétences du département du Rhône dans les limites de son propre périmètre, créant une nouvelle collectivité territoriale au 1er janvier 2015, le bilan 4 ans après est positif (Nys), notamment en ce qui concerne la mise en synergie des politiques de développement économique et de solidarité. C’est un exemple de l’hybridation des compétences, qui se déploie actuellement sur une vingtaine de thématiques. Budgétairement, la répartition des recettes et celle des dépenses sont saines et les dynamiques vont dans le bon sens.
Le prochain défi sera celui de l’élection de l’assemblée au suffrage universel direct, qui va améliorer la légitimité démocratique et la lisibilité de l’action de la métropole, et d’abord l’obliger à écrire son programme. Certaines communes réalisent très tardivement que le conseil métropolitain ne sera plus une émanation des conseils municipaux et que la carte électorale ne reprendra pas le découpage communal (Grignard).
Nouvelles fusions en vue
Une nouvelle loi devrait faciliter la fusion des métropoles de plus de 500 000 habitants avec les départements sur tout ou partie des territoires de ces derniers. Nice, Bordeaux, Toulouse et Marseille (cf. supra) sont partantes, Nantes et Lille ne le sont pas.
Le calendrier, s’il est tenu, créerait les nouvelles collectivités au moment du renouvellement des conseils départementaux, en 2021, et l’élection des premiers conseils métropolitains au suffrage universel direct aurait lieu en 2026.
Il faut préciser que, dans ces nouvelles collectivités, le président sera forcément distinct du maire de la ville centre. En effet, tant que la constitution garantira le découpage du territoire national en départements, les métropoles concernées par cette fusion seront assimilées à des super-départements et non pas des super-métropoles (Grousset). La loi sur le non cumul des mandats exclut alors que les maires (des communes centres notamment) puissent présider les métropoles-départements.
Pour ou contre la fusion, et quand ?
À cet “inconvénient” près, qui n’est pas sans risque, l’évolution vers cette nouvelle collectivité présente plusieurs avantages. Outre la cohérence des politiques publiques et l’évitement des doublons, le plus important (Ardouin) est la lisibilité pour le citoyen-usager à qui on pourra dire : “Le social, c’est à cette porte, et il n’y en a qu’une”. Confier à une même autorité organisatrice les enjeux d’attractivité et de solidarité est une voie très prometteuse, comme le montre l’exemple de Lyon, d’autant que les modalités de l’action sociale doivent être différenciées entre rural et urbain, ce que les départements peuvent avoir du mal à faire (Parcot). Enfin, dans le cas d’Aix–Marseille–Provence, riche en compétences mais pauvre en moyens, et des Bouches-du-Rhône, en situation inverse, la fusion semble aller de soi entre autres pour libérer les potentialités de l’action publique territoriale (Gondard).
Reste à trouver le moment opportun. S’il est venu pour Marseille (cf. supra : un exécutif commun) et pour Bordeaux, Nantes juge le saut prématuré. Elle n’est pas prête à “casser le bloc communal”, s’engager dans des dépenses sociales à courbe ascendante, ni affronter un défi managérial de taille, le tout dans un climat politique national peu propice. En outre, le gain de compétitivité européenne censé en résulter (référence aux catégories en cours de réflexion au niveau de l’État) échappe : où est le rapport ?
Il peut y en avoir un si l’on considère qu’une métropole européenne est une métropole non pas seulement économiquement performante, mais aussi socialement équilibrée. Cette vision n’est pas à négliger face aux menaces qui pèsent sur la démocratie en Europe (Mahé).