Bruxelles, siège de nombreuses institutions internationales, est une Région qui n’en fait pas moins face à divers défis : pauvreté croissante, essor démographique important, taux d’emploi faible… La Région bruxelloise est aussi pleine d’opportunités, saisies par les pouvoirs publics, pour devenir une capitale ambitieuse, sûre, à la mobilité douce, avec des logements accessibles, agréable à vivre. La complexité de la répartition des compétences, pousse les différentes institutions à trouver des synergies et des collaborations, afin de proposer au citoyen le meilleur service possible.
Le mille-feuille institutionnel belge
Le 4 octobre 1830, l’indépendance de la Belgique est déclarée par un gouvernement provisoire. Le pays a évolué, au fur et à mesure des années, vers un Etat fédéral, et a dû partager ses compétences entre différentes entités.
L’agglomération bruxelloise est créée en 1971, suite à une volonté de dépasser les frontières communales. Près de vingt ans plus tard, la Région de Bruxelles-Capitale voit le jour. Enclavée en Région flamande, Bruxelles est la troisième Région du pays, au sein de la Belgique fédérale. Les Régions côtoient les 3 Communautés (française, flamande et germanophone) qui s’occupent de « matières liées aux personnes » (Christian Lamouline, Secrétaire général du Service public régional de Bruxelles) : culture, enseignement … .
La Région bruxelloise possède de nombreuses compétences régionales (organiques, législatives, fiscales, en matière de logement, transport, énergie, environnement, développement économique…), auxquelles sont ajoutées ses compétences en tant qu’agglomération (aide médicale urgente, lutte contre les incendies, gestion des immondices…). A côté du Gouvernement et du Parlement régional, on retrouve une myriade de services publics, et d’organismes administratifs autonomes. Certaines structures travaillent sous l’autorité du Gouvernement, comme le Service public régional de Bruxelles (SPRB), d’autres possèdent une certaine autonomie.
Christian Gauffin, secrétaire et animateur du réseau BEST, précise que la relation entre le Secrétaire général du SPRB et les directeurs généraux n’est pas conçue comme un rôle hiérarchique, au contraire de la France. « Chaque directeur général gère sa compétence, je me considère davantage comme un facilitateur, un coordinateur », souligne Christian Lamouline. Le DGS de Strasbourg Pierre Laplane, nuance : « en France, nos pratiques managériales se rapprochent d’une méthode collégiale, pas organisée et bien établie comme à Bruxelles, mais l’esprit est similaire ». Le Secrétaire général est nommé pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois, par une Commission érigée par le gouvernement composée d’avocats, de professeurs, de spécialistes en management…
Un intérêt communal peu défini
La capitale belge comprend une population très disparate, divisée en 19 communes, comptant de 22.000 (Koekelberg) à 180.000 habitants (Ville de Bruxelles).
Entre le Bourgmestre, les échevins, et les conseillers communaux, on compte près de huit-cents élus, pour 1,2 millions d’habitants, un nombre que Philippe Rossignol, Président de la fédération des secrétaires communaux bruxellois, estime trop élevé.
Chaque commune exerce les compétences d’intérêt… communal. Le principe est simple, tout sujet d’intérêt communal, qui n’est pas de la compétence d’un autre niveau de pouvoir, peut être exercé par la commune.
Un principe simple, mais discuté. Philippe Rossignol évoque le grand débat actuel sur les transferts de compétences. En Belgique, rien n’est facile : les voiries communales sont gérées par des agents communaux, les voiries régionales par des agents régionaux et les sites propres des trams par la STIB (Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles). On peut comprendre que le citoyen bruxellois ne sache plus à quel Saint se vouer. « Ma rue traverse trois communes, et les réverbères sont différents en fonction de l’endroit », raconte Philippe Rossignol.
Pierre Laplane s’interroge sur cette répartition des compétences, Bruxelles pourrait-elle à terme devenir un seule commune ? Selon Rochdi Khabazi, Directeur général de Bruxelles Pouvoirs locaux, il s’agit d’une question essentiellement politique. Les partis flamands sont plus favorables à une option pro régionaliste, tandis que les francophones sont plutôt municipalistes. Une des solutions évoquée serait la « supracommunalité ». Une forme de « supracommunalité » est déjà mise en place : l’intercommunale.
La liberté de coopération, une liberté autrefois controversée
A l’époque, ni la Constitution, ni la loi communale n’autorisait les communes à s’associer. Et pourtant, la première intercommunale est créée : le Crédit communal, qui a fusionné avec le crédit local de France pour fonder Dexia. Par la suite, d’autres intercommunales ont vu le jour, dans de nombreux domaines : hôpitaux, énergie, eau… « Si la NASA avait été belge, elle aurait été une intercommunale », raconte Jean-François Brouwet, attaché juriste à Bruxelles pouvoirs locaux sur le ton de l’humour.
Ce n’est qu’en 1921 que l’article 162 de la Constitution belge stipule que « plusieurs collectivités supracommunales ou plusieurs communes peuvent s’entendre ou s’associer. » Et il a fallu attendre 2014 pour que les Régions concluent un accord de coopération relatif aux intercommunales interrégionales (Sibelga, Vivaqua, Brutélé …).
L’intercommunale, association créée par au moins deux communes, est une personne de droit public qui n’a pas de caractère commercial . Elle adopte la forme juridique d’une société coopérative à responsabilité limitée. Il n’existe que des intercommunales pures, et il n’y a plus d’intercommunales mixtes avec des personnes morales de droit privé.
En France, le principe est différent, les membres d’un établissement public peuvent décider par voie conventionnelle de déroger à la loi (François Mengin, DGS de Pau). On est ici à mi-chemin entre une société publique locale et un établissement public local. La présence d’administrateurs est alors proportionnelle à leur part dans le capital, avec un maximum de 18 administrateurs. Ce concept pose problème puisque les plus petits actionnaires ont un risque de ne pas être représentés. Pour les établissements publics, le contrôle de légalité est opéré par le préfet, tandis qu’il est effectué par les actionnaires dans les sociétés publiques locales. En France, l’Etat central dit ce qu’il faut faire, et impose des contraintes, et en Belgique, c’est l’inverse, « faites ce que vous voulez et on vous arrêtera si besoin » (François Mengin).
Bruxelles, terre de contrastes
La Région bruxelloise connaît une réalité différente des deux autres Régions belges : une population plus jeune, un taux de chômage plus élevé, davantage de bénéficiaires d’aide sociale, seulement 43 % de Belges à la naissance en 2017 (versus 79 % sur l’ensemble de la Belgique) …
La situation de la Région est paradoxale, explique Christian Lamouline, le marché du travail est en tension entre une ville internationale, pôle de croissance, et une population présentant un taux important de chômage. Malgré une hausse de la population de 24% en 17 ans (11% en Belgique), de nombreux emplois sont occupés par des navetteurs flamands ou wallons, et non pas par des bruxellois.
De plus, le coût des biens immobiliers ou tout simplement la rareté des biens prisés des familles (spacieux avec jardin), voire la paupérisation de certains quartiers denses, a pour conséquence que certains bruxellois de la classe moyenne voire supérieure quittent Bruxelles pour une autre Région belge à l’arrivée des enfants, et ne contribuent donc pas à enrichir la capitale belge. Ces différents facteurs influencent les finances communales.
Il est à noter également que la situation n’est pas homogène sur le territoire bruxellois, les différences entre les communes sont très marquées. La Région de Bruxelles-Capitale est une « terre de contrastes », explique Anne Willocx, Directrice des Finances locales à Bruxelles Pouvoirs locaux.
Les additionnels au précompte immobilier, principal impôt foncier belge lié à la valeur du bâti, constituent la première recette des communes. Celles-ci perçoivent aussi une fraction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Par ailleurs, chaque commune reçoit des dotations de la Région, qui représentent en moyenne 16% de ses recettes.
La plus importante, la dotation générale aux communes, est modulée en fonction de leurs besoins, sur base de critères d’attribution précis (nombre d’habitants, revenu…). Les communes utilisent une comptabilité analytique harmonisée au niveau régional (elle l’était autrefois au niveau fédéral). En 2017, la Région a revu ces critères, afin de tenir compte des évolutions démographiques et économiques, et d’assurer le refinancement des communes. Au final, toutes les communes ont vu leur dotation augmenter, de façon plus ou moins grande en fonction de leur situation. Un choix politique effectué sans conditions ni transfert de compétences (Rochdi Khabazi).
Les communes sont tenues de financer les déficits structurels des Centres publics d’action sociale (CPAS) et des zones de police, ajoute Anne Willocx.
La charge de remboursement des emprunts se retrouve au budget ordinaire, qui doit être à l’équilibre. Aucune règle spécifique n’existe concernant les conditions d’emprunt, tant que les communes peuvent les rembourser et rester à l’équilibre. Dès que la commune ne parvient plus à présenter un budget ordinaire à l’équilibre, la Région intervient par des prêts. La commune doit alors s’engager à suivre un plan d’assainissement. En Région bruxelloise, un peu plus de la moitié des communes (dix sur dix-neuf) sont actuellement sous plan.
Au cours de ces dernières années les communes sont parvenues petit à petit à restaurer leur équilibre financier, et la Région y a également contribué au travers de diverses dotations et subventions. Malgré tout cela, les équilibres restent fragiles au regard des nombreux défis auxquels elles sont confrontées, conclut Anne Willocx.
Des populations fragiles, aidées par les centres publics d’action sociale
En Belgique, les Centres publics d’action sociale, ou CPAS, ont pour mission d’assurer l’aide sociale. Dans la commune de Molenbeek, entité multiculturelle présentant de nombreux défis, l’intégration de la personne via l’emploi est privilégiée. Le but de l’aide sociale est de permettre à chacun de vivre dans la dignité humaine, précise Didier Rozen, secrétaire général du CPAS de Molenbeek. Il ne s’agit pas uniquement d’une aide financière, mais également médicale, au logement…
Le CPAS est une structure comprenant une entité politique et une entité administrative, explique Gérardine Bastin, présidente du CPAS. Les 45 conseillers communaux de Molenbeek ont désigné 13 conseillers pour siéger au CPAS. La gestion est assurée via différents comités, qui traitent des contentieux, des médiations de dette, du logement… Seules 5% des recettes des CPAS sont des recettes propres, 95% proviennent de subventions. En matière informatique, il existe des collaborations public/public dans le domaine des logiciels de l’action sociale, notamment avec Charleroi.
Au total, mille personnes sont employées au CPAS de Molenbeek (dont environ 120 assistants sociaux, 150 personnes au titre des maisons de repos, agents administratifs…). Il est à noter que plus de 400 de ces employés sont des « articles 60 », dispositif destiné à la réintégration professionnelle. Il existe un réseau de 8 antennes sociales maillant le territoire communal.
La plupart des usagers du CPAS sont des personnes qui n’ont jamais ouvert leur droit au chômage, ou sont des anciens allocataires du chômage. A Molenbeek, 37,5% des bénéficiaires du revenu d’intégration ont moins de 25 ans, et n’ont donc jamais eu droit au chômage. Un molenbeekois sur dix suit un trajet d’intégration sociale, qui comprend plusieurs étapes, de l’entretien social, à la validation par le directeur financier. 6 300 personnes sont aidées chaque mois par le CPAS (pour une population communale de 100 000 habitants).
La banque carrefour de la sécurité sociale permet d’accéder à différents registres (propriété immobilière, contrats de travail, pensions de réversion …). Elle est interrogée quotidiennement, notamment pour repérer les déménagements au plus vite et ainsi retirer l’aide municipale avant la formation d’une dette.
Mais à Molenbeek, le grand défi reste de garder les habitants qui ont trouvé un travail et vivent dans de meilleures conditions, et qui décident parfois de déménager dans une autre commune.
Rochdi Khabazi note que ces aides permettent indirectement d’aider à la sécurité des quartiers, et ont donc un effet bénéfique important.
La sécurité, matière collaborative
La particularité belge de superposition d’acteurs et de niveaux de compétences n’a pas épargné le secteur de la sécurité. En effet, de nombreux services publics œuvrent à la sûreté des citoyens bruxellois : six zones de police, neuf communes, Bruxelles Prévention et sécurité (BPS), l’Etat fédéral…
Au vu du nombre d’acteurs impliqués, la dimension partenariale est essentielle. BPS veille à identifier les complémentarités et augmenter le niveau d’échelle, explique Jamil Araoud, Directeur général de l’institution publique, ce qui permet de soulager les zones de police de fonctionnalités qui les détournent de missions opérationnelles. Un projet de centre de communication, qui rassemblerait les dispositifs policiers avec les pompiers et la STIB pourrait voir le jour.
Pour assurer cette coordination et suivre la mise en œuvre d’un plan régional de sécurité, un Conseil régional de sécurité a été créé, constitué du parquet de Bruxelles, du directeur coordinateur administratif et du directeur judiciaire de la police fédérale, des présidents des collèges de police et des chefs de corps des zones de police. Il existe une école régionale des métiers de la sécurité qui vise à un recrutement de proximité.
La stratégie de BPS est basée sur trois principes de l’intelligence « Led policing » : le renforcement des synergies et les économies d’échelle, le renseignement par anticipation et renforcement de la position d’information et l’utilisation des nouveautés technologiques. Jamil Araoud cite quelques exemples d’outils et de projets innovants : la vidéo-protection avec accès aux images en temps réel (réseau associant notamment les transports publics STIB ou le port de Bruxelles), le réseau de caméra ANPR, un service de drones et un centre de cybersécurité.
Non seulement les acteurs sont multiples, mais les situations sont aussi très différentes en fonction des communes. Les cas de coups et blessures se produisent plus fréquemment dans le centre de la Région, tandis que les cambriolages se produisent un peu partout sur le territoire.
La police locale doit donc adapter sa stratégie en fonction des différents quartiers dont elle a la responsabilité. Dans la zone Montgomery par exemple, trois priorités font l’objet d’un plan d’actions : la sécurité routière, les vols qualifiés, et la sécurité dans les transports en communs, relate Michaël Jonniaux, Chef de corps de la zone de police de Montgomery.
Bruxelles est divisée en six zones de police, chacune dirigée par un chef de corps, qui rend des comptes au Conseil de police (représentants d’élus communaux) et au Collège de police (Bourgmestres des communes concernées).
La police elle-même est structurée en deux niveaux : police locale et police fédérale. Ces entités n’ont pas de lien hiérarchique mais bien de collaboration. Les 185 zones de police belge et la police fédérale constituent ensemble la police « intégrée ». Certains mécanismes accentuent ce caractère intégré : formation, code de déontologie, et statut partagés, plan national de sécurité, emplois des deux niveaux accessibles à tous… De plus, les informations sont dispatchées sur des canaux communs : réseau de radio ASTRID, carrefours d’information d’arrondissement, banque de données nationale générale et onze centres d’information et de communication provinciaux.
La police locale se veut proche du citoyen, avec au moins une équipe d’intervention et un poste ouvert en permanence. Le contact quotidien des agents avec la population est indispensable, ils sont encouragés à être à leur écoute (Michaël Jonniaux). La mission de contrôle de domiciliation des habitants permet aux policiers de se rendre à leur domicile, et ainsi de mieux cerner les citoyens de sa zone. Il existe par ailleurs des enquêtes régionales et locales sur les priorités et perceptions des citoyens.
Pierre Laplane note que la police française pourrait se nourrir du fonctionnement de ses voisins, en simplifiant l’organisation policière. Certaines coordinations au niveau prévention existent en France, mais restent complexes. Par ailleurs, en Belgique, aucune dichotomie n’existe entre la police municipale, très axée sur le quotidien, et la police sur les territoires, davantage responsable du maintien de l’ordre, contrairement à la police française. Pour légitimer l’activité policière, il est essentiel de s’intéresser à la sécurité et à la qualité de vie des citoyens, et transformer le regard des citoyens les plus exclus de l’organisation.
Des solutions alternatives pour un logement accessible à tous
A Bruxelles, il n’est pas toujours si facile pour le Belge qui a « une brique dans le ventre » de devenir propriétaire. Surtout s’il veut une villa quatre façades et un grand jardin, bien immobilier très onéreux dans la capitale belge. Alors, certains s’en vont en campagne brabançonne flamande ou wallonne pour trouver la maison de leur rêve. Mais de nombreux types d’habitats alternatifs, et des méthodes facilitant l’achat d’un bien se développent à Bruxelles, afin de rendre le logement plus accessible.
Des achats en partie subsidiés par la Région
Suite à une diminution de l’activité économique à Bruxelles, la Région décide de créer « Citydev » en 1974 afin de soutenir le développement économique bruxellois, la rénovation urbaine, et des projets mixtes économique-logement.
La Région fait en effet face à de nombreux défis : fuite de la classe moyenne vers d’autres Régions, désinvestissement des secteurs privés, dégradation du centre-ville et de la première couronne (autour du centre-ville)… « L’objectif de Citydev est de rénover la ville en construisant du logement moyen dans les quartiers où le privé n’investit pas », rapporte Nathalie Renneboog, Directrice générale ff (faisant fonction) de la direction Rénovation urbaine de Citydev. Afin de repeupler certains quartiers désinvestis, Citydev vend des logements neufs à prix réduit en association avec la promotion immobilière privée, en subventionnant 30% du prix du logement (cadre légal de l’ordonnance du 20 mai 1999). Olivier Landel, Délégué général chez France Urbaine, s’inquiète du coût de la construction, qui est compliqué à évaluer en amont, car très variable. Nathalie Renneboog explique qu’une partie des logements est construite par Citydev, et les nombreuses informations relatives à la construction sont précieusement conservées dans une base de données. Les cahiers des charges étant évalués à 50% sur le critère financier, les promoteurs sont dès lors obligés de proposer des prix attractifs, d’autant plus que le marché est fragmenté (pas de gros institutionnels). Le choix des projets repose toutefois pour l’autre moitié sur des critères de qualité (dont urbanité 20%, habitabilité 20%, développement durable 10%).
Ces logements sont réservés à la classe moyenne, définie comme les personnes au revenu imposable de moins de 64.200 euros par an, pour une personne seule. Il est expliqué que le choix a été fait que la population éligible soit emblématique de l’ensemble de ceux qui font fonctionner la ville, ainsi il a été mentionné à titre illustratif qu’en termes de revenu cela va de l’instituteur au professeur d’université ; 90% de la population est donc éligible. Les nouveaux propriétaires achèteront un bien immobilier qui devra normalement être leur résidence principale pour les vingt prochaines années. Dans certains cas, ils peuvent revendre leur bien, mais sans pouvoir dégager de plus-value.
Au total, Citydev a vendu 4.650 logements depuis 1988, ce qui représente près de 8% de part de marché en moyenne. Ces chiffres sont en constante augmentation, 260 logements ayant trouvé acquéreur en 2018. A Bruxelles, on compte environ 500.000 logements.
Des méthodes d’achat et de location innovantes
Le Community land trust (CLT), système basé sur le bail emphytéotique, permet de diminuer le prix de vente d’une maison, puisque la personne achète uniquement le bien immobilier, sans acquérir le terrain, les Community land trusts restant propriétaires du sol (Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis, spécialiste du logement). Le bien peut être revendu, mais l’éventuelle plus-value est alors abbatue de 75 %, ce qui revient à plafonner le prix de revente. La gestion est participative, avec un CA tripartite, une implication des riverains et la recherche de la multifonctionnalité, pour éviter le syndrôme « NIMBY ». Olivier Landel précise qu’en France les CLT sont appelés organismes fonciers solidaires, et fonctionnent plutôt bien. Pour Eric Ardouin, DGS de Bordeaux, il y a une différence en Belgique, à savoir que le propriétaire du terrain récupère le bâti. Il sera effectivement souligné que le modèle implique l’absence de legs aux enfants.
Nicolas Bernard met également en lumière d’autres types d’habitats innovants : les occupations précaires (notamment s’agissant de biens immobiliers objets de blocage : attente du règlement d’une succession, d’un permis d’urbanisme…), mais aussi les habitats itinérants, intergénérationnels, solidaires ou modulaires (dans ce dernier cas, malgré l’utilisation de matériaux légers, déplaçables et temporaires, il faut quand même des permis et le règlement régional d’urbanisme devrait à cet égard assouplir les normes).
En règle générale, la reconnaissance de l’habitat hors norme fait pression pour une norme moins stricte. « L’idée pourrait être d’avoir un noyau dur de normes, et des normes variables qui peuvent évoluer » (Nicolas Bernard). Dans le cas des occupations précaires, le défi permanent est de s’assurer que les conventions/contrats qui s’instaurent (« innommés » car non régis par la loi) ne soient pas requalifiables en bail (avec par exemple des préavis plus réduits, ou encore l’absence de motivation de la résiliation : en effet s’il s’agit d’encadrer l’occupation, il s’agit aussi d’officialiser son caractère précaire). Il en va de même dans l’habitat intergénérationnel : les ASBL octroient des « conventions » plus souples que des baux, qui interdisent par exemple la domiciliation.
D’un autre côté, en ce qui concerne les locations à Bruxelles, des associations, appelées agences immobilières sociales (AIS), ont proposé aux propriétaires d’assurer l’intermédiaire entre eux et les locataires, et de gérer les risques locatifs, explique Nicolas Bernard. Les associations promettent de combler les éventuels impayés, d’accompagner le locataire dans la gestion du bien, et de le remettre en état à chaque nouveau bail. En contrepartie, le prix du loyer est abaissé, et le propriétaire accepte de se dessaisir de la gestion du bien (baux de 3 ans, voire 9 ans si travaux).
Après une quinzaine d’années, lorsque le phénomène a pris de l’ampleur, les pouvoirs publics s’y sont intéressés, et ont ensuite repris le concept. On compte aujourd’hui vingt-deux agences (agréées et subventionnées) pour la gestion de 5500 logements (pour 38.000 logements sociaux), et ce nombre est en croissance continue. Coûtant moins de la moitié d’un logement social et plus souples, les AIS, citées régulièrement en exemple dans les sphères politiques, sont considérées comme une « success story » (Nicolas Bernard).
Au final, ces solutions alternatives expliquent sans doute que l’accès au logement ne soit pas plus problématique à Bruxelles que dans les métropoles françaises, malgré un dynamisme démographique similaire et une proportion nettement moindre de logements sociaux qu’en France (38 000 pour un parc d’environ 500 000 au total, très loin des proportions constatées ou des objectifs minima en vigueur en France). Ce modèle a du reste inspiré les AIVS (agences immobilières à vocation sociale).
Pour autant les modalités de partenariat avec le secteur privé posent de nouveaux défis, avec même des contacts amont pour des projets pas encore construits, et ainsi une transformation potentielle du métier vers de la gestion de parcs de logements neufs et plus importants, ce qui peut créer des phénomènes de concentration. S’agissant du milieu associatif lui-même, il existe un risque de constitution de clientèles (« nos usagers »). Enfin, le barème des loyers reste une question épineuse, celui-ci n’étant fonction que du nombre de chambres et pas de l’état du bien ou de sa localisation, ce qui peut limiter l’attrait des propriétaires dans certains quartiers. La Région bruxelloise vient au demeurant de se doter d’une grille de loyers, mais dont l’utilisation est facultative.
Zoom sur la zone du Canal de Bruxelles, cadre industriel à haut potentiel
A deux pas du centre historique, le Canal coupe Bruxelles du Nord au Sud en traversant cinq communes, sur quatorze kilomètres. Son cadre industriel possède un énorme potentiel, que « perspective.brussels », Centre d’expertise régional et initiateur de la stratégie de développement du territoire, entend valoriser via un programme de rénovation appelé « plan Canal » (moyennant notamment des actions de dépollution et végétalisation).
Ce plan rassemble plusieurs grand principes, détaille Sven Vercammen, chargé de projets chez Perspective : la rationalisation de l’usage du sol à la recherche d’une relative compacité, la mixité fonctionnelle (économie et logements), et un espace public au cœur du développement (structurant, avec des espaces conviviaux et une mise en valeur du patrimoine industriel). Elaboré avec différents partenaires, un accord-cadre fixe la vision, et la réalisation des espaces publics.
Le Canal se doit d’être un repère pour les bruxellois, qui sera rendu plus visible grâce à un abaissement des quais. Les mobilités actives seront promues via des promenades cyclistes, des zones piétonnes et des bandes multifonctionnelles (voiture, vélo et piétons).
L’enjeu est important, il s’agit de préserver l’activité économique, des espaces de logements, et de garder une certaine mixité sociale.
La mobilité de demain
Aujourd’hui, la mobilité est en pleine mutation, très dynamique, à la croisée d’enjeux sociétaux, technologiques et financiers, rapporte Brieuc de Meeûs, CEO de la STIB. Aux transports traditionnels s’ajoutent les transports électriques, automatisés ou partagés. Les GAFA (Google, Amazone, Facebook et Apple) y voient une opportunité de développer un nouveau business.
A travers le plan « Good move », élaboré via un processus participatif, Bruxelles Mobilité prépare la capitale aux enjeux de demain, explique Christophe Vanoerbeek, Directeur général de Bruxelles mobilité. Plus de 170 acteurs de la mobilité ont pu faire entendre leur voix, et les décisions finales se sont faites par consensus et compromis. La vision intègre différents objectifs : la maîtrise de la demande des déplacements, la réduction de l’utilisation de la voiture, le développement de services intégrés pour l’usager, des réseaux de transports efficaces et bien distribués, et une stratégie pour le stationnement.
La Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB), société anonyme financée en grande partie par la Région, un des acteurs essentiels du plan « Good Move », assure les déplacements des Bruxellois au quotidien. Trams, bus et métros amènent les habitants au travail, à la maison, chez leurs amis, à une exposition ou à leur bar préféré. La STIB est l’employeur régional le plus important, avec 9500 agents.
Brieuc de Meeûs évoque les chantiers fondamentaux pour les transports publics à l’horizon 2030-2050. Tout d’abord, le « décarboné », c’est-à-dire l’utilisation de véhicules électriques, et d’énergie verte. Mais les bus électriques soulèvent de nombreux problèmes : leur stockage, puisqu’ils occupent plus d’espace que des bus classiques, le temps d’autonomie, et l’investissement colossal sur un temps réduit.
L’accessibilité des transports sera également essentielle, que ce soit pour les personnes à mobilité réduite mais aussi pour les personnes à revenus faibles, ou encore celles qui n’ont pas l’habitude d’utiliser des outils digitaux. Il s’agit ici d’un devoir des services publics, d’inclure le plus grand nombre, contrairement aux firmes privées.
La STIB devra aussi, et surtout, assurer un service personnalisé et de qualité, pour que chacun puisse trouver la solution de mobilité qui lui convient. Brieuc de Meeûs développe le concept de MaaS, « mobility as a service », soit le fait de parvenir à offrir à chacun une solution parfaitement taillée sur mesure, en intégrant les différents modes de transport qui existent au sein d’une même plateforme digitale. Et ce service personnalisé passera par une application développée par la STIB. Cela doit permettre de conserver le contrôle des algorithmes, de suivre l’évolution des besoins (en évitant l’« amazonisation ») ou encore de pouvoir facturer l’accès à la plateforme à des offreurs de services privés.
Pour Eric Ardouin, « l’énergie qui a le plus de potentiel est celle qu’on ne dépense pas ». A Bordeaux par exemple, 50% des trajets en voiture font moins de deux kilomètres. La métropole pourrait intégrer dans le futur une signalétique pour les piétons, leur indiquant la distance jusqu’à certains points de la ville.
A Bruxelles, les transports vont bientôt être gratuits pour les jeunes en dessous de 25 ans. François Mengin fait remarquer que la gratuité incite aux trajets court en transports, « sur un réseau qui fonctionne bien, le passage au gratuit déplace le piéton vers les transports en commun ». Patrick Lambert, DGS de Dunkerque, précise qu’il n’y a aujourd’hui pas d’étude sérieuse sur la question, qui est une problématique extrêmement complexe. A Dunkerque, la gratuité des transports est un succès, mais la situation de la ville est spécifique. En effet, le taux de recettes propres liées aux transports est très faible. Christophe Vanoerbeek précise qu’en ce qui concerne la trottinette électrique à Bruxelles, on a pu observer tout d’abord un report de marche à pied sur ce mode de transport, mais une analyse plus complète a pu démontrer un report de tous les modes de transports.