Innovation et financement des services publics
Innovation et financement, deux sujets liés à de multiples titres. Les administrations innovent pour simplifier les démarches administratives à condition d’alléger aussi substantiellement le coût du service public. Pour les collectivités soumises à une pression financière de plus en plus forte, innover signifie imaginer de nouvelles recettes, des investissements réducteurs de coûts, ou aller vers de nouvelles sources de financement.
Ethnographie au guichet
Paqui Santonja présente l’Observatoire de l’innovation dans le secteur public, un outil de partage des nouvelles pratiques qui dit assez la vitalité et le foisonnement des idées dans ce domaine. En France, le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, via la mission Méthodes d’écoute et d’innovation que dirige Françoise Waintrop ausculte l’usager à des fins de simplification administrative. “Nous avons changé d’approche, plutôt que de travailler par formulaire, nous travaillons par événement de vie : je me marie, je scolarise mon enfant, j’ai perdu un proche, etc.” Avec le double avantage d’être compréhensible et de dénouer les noeuds d’incohérence entre administrations qui rendent certaines démarches inextricables. Au-delà de l’écoute, une véritable ethnographie du guichet permet de dépasser le déclaratif pour analyser les comportements.
Agilité, temps court et souplesse
À Lille, ce n’est pas au guichet mais au sein des projets que Michel Vayssié étudie les comportements. L’enjeu est finalement moins de s’adapter à la loi du changement qu’à celle du temps court. On n’a plus le temps de conduire des projets d’organisation. Le schéma classique – diagnostic, proposition, validation, mise en œuvre – est en décalage complet avec les comportements des participants, qui en remettent en cause la linéarité. S’impose une approche à la fois itérative et incrémentale, dans laquelle on a besoin de trouver des “aires de retournement”.
À Bordeaux, c’est d’abord la souplesse qui est invoquée pour conduire la mutualisation des services entre la métropole et les communes, démarche assez éloignée de la culture politique locale. La souplesse est en effet la grande qualité du système “à la carte” adopté même si, avec 130 fonctions mutualisables, 26 communes et un calendrier libre, il a fallu trouver une idée pour sortir de l’imbroglio. Éric Ardouin l’expose ainsi : “La métropolisation, c’est la mutualisation des services associée à leur déconcentration sur le territoire. La métropole s’engage à améliorer la qualité du service, mais le maire reste l’interlocuteur privilégié de l’usager”. Un point essentiel : le service mutualisé “ne part pas à la métropole”, il devient un service commun, ce qui “responsabilise fortement tout le monde”.
Bienvenue à l’ère de la contrainte financière permanente
Benoît Quignon, rappelant la baisse drastique des dotations de l’État aux collectivités locales, pose cette question : Comment conserver notre capacité d’investissement dans un contexte de contrainte financière permanente ?
À Lyon, l’imagination est partout sollicitée pour augmenter les recettes et diminuer les dépenses. L’urbanisme est un gisement non négligeable, avec ce que permettent les ZAC et les PUP (projets urbains partenariaux). Il y a aussi des recettes à aller chercher dans une meilleure gestion du domaine public (stationnement) ou du patrimoine immobilier.
Côté dépenses, pour compléter une stratégie efficiente de contrôle, Lyon regarde du côté des services innovants qui font faire des économies. Telle cette appli qui informe en temps réel des meilleurs itinéraires en ville. Son développement coûte 7 M€ mais c’est beaucoup moins que les 100 M€ d’ajustement de voirie qu’il faudrait dépenser sans elle. Même chose avec cette appli développée par Vinci à Paris, qui signale les places de stationnement libres : on optimise le remplissage plutôt que de créer de nouvelles places. Et l’on retrouve le croisement des politiques sociales et économiques cher au DSG de la métropole lyonnaise fusionnée avec une partie du département du Rhône : faire livrer des repas à domicile à des personnes âgées permet de créer des emplois et d’économiser des coûts de structure d’accueil.
Comment séduire les fonds de pension ?
L’investissement public est une variable d’ajustement très touchée en période de crise. Depuis 2010, il a baissé très sensiblement dans la plupart des pays de l’OCDE. Stéphane Viallon indique que la Banque européenne d’investissement ne finance pas les collectivités mais seulement les hôpitaux, universités et des sociétés de type SEM ou SPL. Le plan Junker, opérationnel en 2016, ne devrait pas tellement concerner les projets publics français. Selon Claire Charbit, “le problème n’est pas la ressource, qui existe, mais le fait qu’elle soit détenue par des fonds de pension ou des assureurs qui sont très adverses au risque”. L’OCDE propose de multiples pistes pour dépasser cette défiance. En particulier des montages visant à défragmenter les projets – mutualisation, territorialisation des stratégies d’investissements – des partenariats entre la Caisse des fonds de pension ou des assureurs, Dépôts et la Banque européenne d’investissement, des partenariats public privé, le civic crowdfunding ou encore la création de banques de collectivités territoriales.
Agence France Locale, sur le modèle de Kommuninvest
Les pays du Nord de l’Europe possèdent depuis longtemps des structures mutualistes de financement des collectivités locales. En Suède, en 30 ans d’existence, Kommunivest a réussi à fédérer 280 collectivités sur un total de 310, et développé une large palette de services et de conseils, en complément de ses activités de prêteur. L’Agence France Locale (AFL), créée en 2013, est fortement inspirée de ce modèle. Dans les deux cas, une société mère, au statut de coopérative (Kommunivest) ou société anonyme (Agence France Locale) a pour membres ou actionnaires des collectivités locales ; une société de crédit filiale à 100 % (une banque privée) prête de l’argent aux membres de la maison mère.
Comme le précise Maria Viimne, les collectivités membres de Kommunivest sont toutes solidaires en garantie des dettes de chacune auprès de la banque, qui jouit d’une notation identique à celle du gouvernement suédois. Le principe de solidarité n’est pas aussi total en France, mais Yves Millardet se félicite de ce que la notation de sa jeune banque (AFL) soit déjà deux crans au-dessus de celle de la meilleure banque française, BNP Paribas : “Nous sommes perçus comme présentant un risque identique à celui du secteur public alors que nous sommes bien une banque”.
L’intérêt de ces banques est de diversifier les modes de financement des collectivités, de sécuriser leur accès à la liquidité et d’en optimiser le coût. Ainsi, l’Agence France Locale est capable de se procurer des capitaux auprès de sources auxquelles les banques classiques n’ont pas accès, comme les fonds souverains ou les banques supra-nationales (BEI, Banque mondiale…). Une centaine de collectivités étaient déjà membres de l’Agence France Locale au début 2015. Yves Millardet pense atteindre un portefeuille de crédits de 1,5 Mds € fin 2016 et vise 25 % du marché des prêts bancaires aux collectivités.