Inclusion sociale et territoriale des populations fragilisées
Les grandes villes, en première ligne face à l’exclusion et l’afflux de migrants, ne disposent pas des moyens adéquats pour les gérer. Il est temps de considérer les migrations comme un phénomène permanent, appelant des politiques publiques spécifiques. Y réagir dans l’urgence est la pire des solutions.
Le défi migratoire
Bien que les migrations soient devenues structurelles, explique Catherine Wihtol de Wenden, chercheuse et auteure de nombreux ouvrages sur le sujet, l’Europe ne se vit pas comme une région d’immigration. Sachant que les déboutés du droit d’asile préfèrent tous la clandestinité au retour, elle prône la “réouverture du marché du travail dans les secteurs en tension, ce qui tuerait l’activité des passeurs” et faciliterait beaucoup l’insertion des personnes. Pierre Henry, directeur général de l’organisation humanitaire France Terre d’Asile, met quant à lui en garde contre “un discours très répandu dans la haute fonction publique française, selon lequel ça ira mieux demain et il faut éviter l’appel d’air. C’est faux et dangereux car cela oblige à agir dans l’urgence.”
En France, l’État décide d’accorder ou non le droit d’asile, puis l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) prend les personnes en charge avec l’appui des collectivités territoriales. Un défi colossal, explique son directeur général Didier Leschi, alors que les intéressés ne parlent souvent pas le français, que les emplois peu qualifiés comme les logements manquent, et que les moyens sont éparpillés entre les collectivités. Pierre Henry évoque la croissance très rapide du nombre des mineurs non accompagnés, (13 000 entrées en 2016) : leur prise en charge coûte très cher aux collectivités, auxquelles elle incombe au titre de la protection de l’enfance (avec une aide de l’État qui serait loin de couvrir la facture globale).
L’Île-de-France accueille 43 % des demandeurs d’asile, non sans difficultés, alors qu’un apport de population serait bienvenu dans certaines zones dépeuplées, pour maintenir les commerces et équipements publics en activité. Faut-il pour autant assigner les nouveaux venus à résidence ? Face à ce “défi de faire correspondre la répartition des personnes sur le territoire avec les logements et l’emploi”, Pierre Henry est partisan de la création d’une agence centrale qui “permettrait de dire légitimement aux nouveaux arrivants que le choix de leur lieu de résidence ne leur appartient pas parce que le système est équivalent sur l’ensemble du territoire”.
Répartir les arrivants sur le territoire ?
Entre 2015 et 2016, l’Union européenne a enregistré 2,6 millions de demandes d’asile, soit trois fois la population de Stockholm ou Cologne. En Allemagne, les arrivants ont été répartis entre les Länder, puis les villes, en passant par des hubs tels que celui de Cologne où ont transité 30 000 personnes à destination de la Rhénanie du Nord–Westphalie. En 2017, la ville abrite encore 13 200 réfugiés. Leur afflux massif fait peser une très forte pression dans une ville déjà soumise à une pénurie de logements et de foncier. “Pour y faire face, explique la première adjointe Gabriele Klug, nous avons mis en place une task force transversale à l’ensemble des services, dotée de pouvoirs exceptionnels pour prendre les décisions rapides qui s’imposaient” et loger ces personnes, d’abord dans des structures d’urgence (gymnases, hôtels…) puis progressivement dans des logements de plus en plus pérennes.”
La Suède est un autre pays européen ayant reçu un fort contingent de demandeurs d’asile (trois fois plus que l’Allemagne, ramené leurs populations respectives), dont une très forte proportion de mineurs non accompagnés. Les villes exercent quasiment toutes les compétences dans le champ social et sont donc outillées pour assurer l’accueil des réfugiés. En 2016, la Suède a décidé de limiter son accueil au quota imposé par l’Union européenne, et les migrants devenus citoyens suédois bénéficient d’un droit au logement, mais se voient imposer un lieu de résidence n’importe où en Suède (sauf s’ils sont logés par leur famille), explique Fredrik Jurdell, vice-DGS de la ville de Stockholm. L’un des principaux enjeux de la politique migratoire en Suède est l’intégration, un échec patent selon ce dernier, en partie lié à la très forte ségrégation spatiale des populations immigrées.
Crise économique, crise des migrants et paralysie institutionnelle
Entre 2008 et 2015, la crise économique a fait 3000 sans abri à Barcelone, où 85 familles sont expulsées de leur logement chaque semaine. Dans ce contexte, qui a amené une militante des droits des expulsés au fauteuil de maire, Ricard Fernández Ontiveros critique le peu d’engagement de l’État, qui laisse les villes subir seules le fardeau de l’accueil des réfugiés (15 000 demandes d’asile en 2015), alors que logement, l’accueil des réfugiés et le social ne sont pas des compétences municipales. Dans la Région bruxelloise (19 communes dont Bruxelles), précarité et fracture sociale sont également des réalités très importantes, explique Rochdi Khabazi. La Région ne dispose ni des moyens financiers ni de l’autorité pour évacuer et prendre en charge les 700 personnes qui dorment dans la rue autour de la gare centrale (entre autres). La situation tourne au bras de fer avec l’État fédéral, adepte du pourissement et du “pas d’appel d’air”, qui voit d’un très mauvais œil les tentatives locales pour alléger les difficultés des sans abris, avec l’appui d’ONG et d’une partie de la population. Jean-Claude Gondard (Aix–Marseille–Provence) voit dans la problématique des migrants une “porte d’entrée un peu cachée dans la question sociale, une question qui n’est pas discutée, pas dialectisée, mais qui nous impacte énormément”. François Bouchard présente le SRADDET de la région Grand Est sur le thème “Ne laisser personne au bord du chemin”, qui comprend notamment “Le Mois de l’Autre”, programme emblématique d’éducation au vivre ensemble destiné aux lycéens, et un plan “500 000 formations”.
Des projets qui rendent les exclus acteurs de leur propre insertion
Yves Aubert et Maud Renon présentent l’opération commencée en 2010 par Strasbourg pour résorber un bidonville d’une centaine de familles roms, en agissant au niveau de la santé, la scolarisation, l’emploi, le logement et les actions socioculturelles et culturelles. En particulier, deux espaces temporaires d’insertion (caravanes) ont été créés, “des sas pour passer des bidonvilles, lieux de non droit absolus, à un espace où on se sécurise et où on apprend à devenir Strasbourgeois”. En contrepartie de cet hébergement, assorti d’un gardiennage et d’une équipe de travailleurs sociaux, les familles se sont engagées à respecter des règles de fonctionnement strictes, dont la scolarisation complète des enfants. Aujourd’hui 175 personnes ont trouvé un emploi et 79 familles un logement social.Tous les enfants parlent parfaitement le français.
Lille a été lauréate de l’appel à projets européen Urban Innovative Actions sur le thème de la réduction de la pauvreté. Son projet, TAST’in Fives, veut faire des populations riveraines d’une friche industrielle des acteurs de sa reconquête urbaine plutôt que des exclus. “Pour faire la couture, nous avons avons imaginé la création d’un écosystème autour du ‘manger’, qui est la fois un plaisir, une culture et un business, capable de rassembler tout le monde”, explique Michel Vayssié. Une grande halle de 4000 m2 rassemblera une halle gourmande, une ferme urbaine en aquaponie et une cuisine commune solidaire pour les familles et les professionnels, comprenant un incubateur d’entreprises autour de la production alimentaire. L’apport de l’Europe (5 M€) permet de couvrir à 80 % l’investissement public d’un programme destiné à s’autofinancer avec la participation de partenaires économiques privés.