Ressources humaines, coopérations et politiques publiques
Les ressources humaines des grandes collectivités sont un immense champ de réflexion où se croisent des enjeux de coût (ou de valeur ?), d’efficacité, de compétences et de qualité du service public. La pertinence du système managérial est une question aussi centrale que difficile à maîtriser à l’intérieur du cadre de la fonction publique territoriale.
Motivation ou non-démotivation ?
Comparativement à leurs homologues du privé, les cadres de la fonction publique sont un peu plus motivés par la reconnaissance qui leur est témoignée, et un peu moins par la tâche de motiver les autres. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par le cabinet Hudson, que cite Michel Vayssié (Lille). Ces résultats sont à la fois avérés et inquiétants, selon Frédéric Althabe (Rouen) et Marie-Francine François (Clermont-Ferrand). Au point que la “non démotivation” serait déjà “la première chose à régler”, plaide Stéphane Basillle (Marseille) en citant trois cas classiques de démotivation : “l’encadrement qui ne motive pas ses décisions, le niveau supérieur qui ne répond pas aux témoignages de motivation, et la non écoute des alertes des cadres.” L’exécutif a évidemment un rôle à jouer. À Lille, les agents d’entretien des cimetières se sont mis en grève. La motivation profonde du mouvement n’était pas leur refus de laisser pousser dorénavant les herbes folles, ils en avaient simplement assez que les usagers le leur reprochent : aux élus d’assumer publiquement leurs décisions environnementales.
De Norrköping à Toulouse, la quête de l’autonomie managériale
À Norrköping (Suède), cinq élus ont un mandat touchant aux ressources humaines, question centrale dans ceje ville de 136 000 habitants qui possède un grand nombre de compétences (les départements n’existent pas en Suède). Cet employeur de 10 000 personnes a identifié cinq thèmes stratégiques : statut d’employé (employeeship : notion qui n’existerait qu’en anglais et en suédois), management et leadership, salaires et fiches de poste, environnement de travail, recrutement et compétences. Son DRH Per-Olov Strandberg explique que les managers ont la responsabilité globale d’un service, financière et humaine. Chaque employé est recruté par son n+1, la DRH n’apportant qu’un appui méthodologique et un cadre pour la négociation du salaire, qui est entièrement individuelle. Seule l’enveloppe des augmentations est discutée avec les syndicats, les managers étant libres de la répartir comme bon leur semble.
La ville et la métropole de Toulouse (mutualisées) se sont engagées dans un processus de changement qui n’est pas sans rappeler certains aspects de la manière suédoise. Depuis environ 18 mois, le directeur général délégué à la modernisation administrative André Thomas y met en oeuvre un plan d’action transversal en six points : évaluation des politiques publiques, contrôle de la masse salariale, management, repositionnement des directions ressources, luje contre l’absentéisme, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Désormais, la masse salariale est affectée par mission, ce qui permet de connaître le vrai niveau d’effort – ex. : l’école coûte 160 M€ et non pas 80 M€. Ces masses sont communiquées aux directeurs de service, qui deviennent “autonomes dans une enveloppe de masse salariale”, ce qui a pour effet de faire “fuser les idées”.
L’évaluation des politiques publiques est en train de se mettre en place selon une méthode qui intégrera la demande sociale, avec l’aide de l’université de Pau. Les résultats serviront notamment à faciliter les discussions entre managers et élus. Des managers qui vont se substituer aux “encadrants”, seront formés pour cela et épaulés par les directions ressources.
Barcelone et la holding municipale
À Barcelone (1,6 M habitants), l’effectif des agents publics est de 13 400 contre 15 000 en 1990. Mais la moitié d’entre eux sont employés dans les structures “satellites” qui forment la “holding” municipale. Barcelone détient des participations dans 200 entités de 6 formes juridiques différentes, et la majorité dans seulement 44 d’entre elles. Ces structures sont nées de la nécessité de sortir du carcan administratif hérité de la dictature. “On a créé un satellite à chaque fois que se présentait un problème qu’on ne savait pas régler, la holding est devenue une boîte noire” explique Antoni Fernandez (Barcelone). Leur création a été récemment freinée par l’État, mais la gouvernance de cette holding nébuleuse reste l’un des principaux problèmes auxquels est confrontée la municipalité. La nomination des dirigeants est très souvent laissée à la discrétion des élus sans publicité ou mise en concurrence. La politisation de ces structures est un vrai problème car d’une part il peut arriver que leur conseil d’administration soit contrôlé par l’opposition, avec un risque réel d’autonomisation complète, d’autre part en cas d’alternance, tous les responsables changent.
Réformes territoriales customisées
La métropole Rouen Normandie est née le 1er janvier 2015, la région Normandie un an après jour pour jour, de la fusion des Haute et Basse Normandie. Dans ce contexte très particulier, l’alignement des politiques économiques de ces jeunes collectivités a du mal à se hisser en haut des agendas politiques, et ce malgré les échéances relatives au schéma directeur économique. Selon le principe de “l’atelier BEST”, F. Althabe en appelle à l’intelligence collective des présents : comment avancer ? En travaillant entre DGS (M. Vayssié). En communiquant sur les projets phares de la Métropole et en se cherchant des alliés dans le monde économique (C. Charbit). En positionnant Rouen dans la nouvelle géographie régionale (Nicolas Pernot (Pau)). En avançant sans la Région (MF François).
L’OCDE constate une préoccupation croissante des États vis-à-vis des problématiques territoriales, notamment les disparités entre métropoles et régions intermédiaires ou rurales. Le processus de
réforme est général et touche tous les échelons territoriaux, mais sans modèle unique. Il n’y a pas de “one fits all”, explique Claire Charbit (OCDE). Le choix de la méthode et sa dose de démocratie doivent aussi s’adapter au contexte : l’efficacité du bottom up n’est pas plus garantie que celle du top down. Les données montrent en outre que l’idée d’une taille optimale des villes est “un leurre total”. À propos de taille, rien n’indique, au contraire, que les régions françaises aient été trop petites avant la réforme. Ce qui compte, selon C. Charbit, n’est d’ailleurs pas la taille des régions mais leur budget et ce qu’elles en font. Il faut éviter la gestion en silos et lier au contraire les politiques sociales, économiques et de transport en les “customisant au territoire”. C’est un peu un casse-tête car, comme l’exprime Éric Ardouin (Bordeaux), “une organisation qui grossit voit ses coûts de structure gonfler. Mais quand elle se fractionne, ce sont ses coûts de transaction qui augmentent.” Il prend ensuite l’exemple de la nouvelle région Aquitaine Limousin Poitou Charentes, où il faut maintenant une journée de voiture pour une réunion d’une heure à l’autre bout de la région. “Vu de Paris, la compétence transport des régions, c’est le train. Mais en réalité, le transport scolaire, ce sont des lignes de bus avec un arrêt tous les 300 m. Cela consomme une énergie folle. La solution, c’est que les régions ne s’occupent QUE de stratégie et laissent la gestion aux départements ou aux villes.”