Grandes agglomérations et régions face aux mutations territoriales
Les réformes de l’organisation territoriale en France annoncent des changements profonds aux effets encore difficiles à évaluer. Cette incertitude ne fait pas obstacle à la réflexion sur l’efficience de services publics mieux tournés vers l’habitant. Le marketing territorial suscite d’intéressants rapprochements entre identité, coopération et réseaux.
Vers une départementalisation des régions ?
Promise à de longs débats parlementaires, la réforme annoncée de l’organisation territoriale fait régner, sur ce point comme sur d’autres, un climat d’incertitude. En tout cas, selon Jérôme Bastin, “le principe constitutionnel de non tutelle d’une collectivité sur une autre ne marche pas car il implique une coopération mutuelle entre les collectivités.” Aujourd’hui, en Bretagne, la contractualisation se fait avec les pays et non les EPCI ; la territorialisation a été reportée au prochain mandat. La loi NOTRe, si elle est adoptée ne laissera d’autre choix de territorialisation aux régions que de reprendre celle des départements. “Il nous faudra intégrer les “bataillons” de personnel, explique Jérôme Bastin, ça va déjà être assez compliqué, on ne va pas commencer par les relocaliser. La loi NOTRe n’est pas autre chose qu’une départementalisation des régions”. Le meilleur principe, poursuit-il, est celui de la subsidiarité, dès lors que la cohérence et l’équité territoriales sont assurées, sous la responsabilité de la région.
Municipalités allemandes soumises au contrôle des Länder
En Allemagne, ce sont les Länder que l’Union européenne considère comme des régions. Ils jouissent d’un pouvoir législatif et d’une administration autonome touchant des domaines étendus (police, justice, universités, école…). La nature et les taux des prélèvements fiscaux sont pour l’essentiel définis par l’État fédéral, qui assure une redistribution entre les Länder, sans empêcher d’ailleurs la persistance d’importantes disparités. “Les compétences attribuées aux municipalités ou prises volontairement par elles sont variables et de très nombreuses combinaisons sont possibles, au point que seuls les experts sont assez savants pour en parler” témoigne Gunnar Schwarting. Les municipalités sont soumises au contrôle légal et financier de leur Land, contrôle portant principalement sur l’équilibre budgétaire et l’endettement, réservé au financement des investissements. À l’exception de Munich, dont le maire fait jeu égal avec le ministre-président de Bavière, les villes sont rarement des tremplins pour les hommes politiques allemands.
Suède : des régions titulaires de monopoles de services publics
La Suède est découpée en 21 comtés initialement administrés par des préfets. Depuis 1995, sur la base du volontariat, certains comtés se sont transformés en régions dotées d’une assemblée élue au suffrage universel direct. Seize devraient l’être en 2016. Le budget de ces régions est apporté par une part de l’impôt sur le revenu des ménages, soit 10% du revenu total. Les compétences des régions sont la santé, les transports publics, le développement économique, les infrastructures et la culture ; elles ne recoupent pas celles des communes. En particulier, les régions gèrent l’ensemble des hôpitaux et assurent la totalité des transports y compris les transports urbains. Elles sont donc très fortement tournées vers la prestation de services aux habitants. Les régions suédoises sont de taille variable et généralement beaucoup moins peuplées que les régions françaises. Selon Gunne Arnesson-Löfgren, “la régionalisation a fait la preuve que la concentration des moyens financiers et du pouvoir de décision améliorait l’efficacité du service public. Mais les régions sont trop petites pour être pleinement efficientes et il est souhaitable qu’elles fusionnent, même si cela doit venir d’en haut. La coopération inter-régionale, y compris transfrontalière, entre la Scanie et la région de Copenhague par exemple, est une autre piste intéressante.”
L’intercommunalité n’est pas la solution, vive la commune nouvelle
“Nous avons aussi en France un vrai problème avec les communes créées dans l’urgence en 1789 pour collecter l’impôt, explique Vincent Aubelle. En 1790, on se demandait déjà comment les fusionner et on n’y est jamais arrivé. Et je ne crois pas que l’intercommunalité intégrative soit la solution car elle génère des machineries très complexes qui n’apportent quasiment pas de valeur ajoutée.” Le chercheur propose de sortir de cette impasse en réinterrogeant la notion de proximité : “On part du postulat que la commune est l’espace de la proximité, mais c’est faux”, explique-t-il en se fondant sur une analyse des temps de trajets. La notion de proximité dépend des usages et de leur fréquence : l’école doit être toute proche, mais pas forcément l’hôpital. La proximité se décline donc à plusieurs échelles. Vincent Aubelle préconise donc plutôt de maintenir la commune, mais en la rénovant suivant le principe des communes déléguées (correspondant à un espace de lien social) et des communes nouvelles. “On se fourvoie dans les intercommunalités intégratives mal calées sur l’espace, les problématiques et la notion même de proximité” conclut-il. Parmi les problématiques mal posées, celle de la péréquation, “essentielle et jamais traitée, véritable tabou de la décentralisation”.
Rennes et Brest, hubs métropolitains créateurs de richesse
Les métropoles créées par la loi MAPTAM ne remplissent pour la plupart pas les critères de compétitivité qui définissent la métropole européenne, tels ceux du CGET qui s’appuient notamment sur différents indicateurs d’ouverture internationale. “En Bretagne, où par exception deux métropoles se créent, ni Brest ni Rennes ne se qualifieraient sur ces critères, même si elles contribuent à l’équilibre du territoire et au rayonnement international du Grand Ouest, précise Henri-Noël Ruiz. L’idée selon laquelle les métropoles feraient le vide autour d’elles est totalement démentie par l’exemple breton, comme le montrent la masse des salaires injectés par Rennes et Brest sur l’ensemble du territoire régional, ou encore les recettes fiscales des différentes collectivités (dont la région et les départements) sur ces territoires métropolitains. L’éviction de fait des populations modestes ne se vérifie pas non plus, au contraire, témoin les proportions de bénéficiaires du RSA ou de logements sociaux supérieure à la moyenne régionale. Rennes et Brest réunissent aussi un certain nombre des conditions qui en font des écosystèmes propices à l’innovation, à la création de valeur et à l’emploi. Une cartographie des relations entre les pôles urbains du territoire montre que “les villes moyennes s’accrochent à ces hubs et forment avec elles des systèmes urbains locaux qui sont peut-être les véritables métropoles” conclut Henri-Noël Ruiz.