Réforme territoriale : dynamique et contrecoups
La réforme territoriale a ouvert de gigantesques chantiers simultanés dans l’organisation des collectivités, d’autant plus complexes qu’ils touchent aussi aux relations de ces collectivités les unes avec les autres. Ce qui n’empêche pas les DGS d’y voir un puissant levier de progrès.
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Grandes régions, l’onde de choc
La Suède, d’une superficie presque aussi étendue que la France, compte 21 régions qu’elle tente depuis longtemps de faire fusionner pour les rendre plus efficaces (elles gèrent notamment le système de santé). Johan Krabb préside la commission gouvernementale qui consulte les acteurs locaux en vue d’une loi de fusion. Le processus est à la fois formel et informel “pour pouvoir tout se dire”, vivant et transparent grâce à des publications régulières. Les fusions les plus consensuelles seront mises en oeuvre dès 2019, les autres au plus tard en 2023, pour ne garder probablement que 6 régions.
En France où le redécoupage régional a été plus rapide, les DGS constatent, outre un allongement des distances et une multiplication du nombre des interlocuteurs qui pèsent sur les emplois du temps, des différences culturelles importantes entre administrations fusionnées mais une même impatience des agents à se situer dans un nouvel organigramme. En Nouvelle Aquitaine, explique le DGS Jean-Baptiste Fauroux, on a pris le temps de repérer le meilleur savoir-faire de chaque collectivité pour l’incorporer dans la future organisation. La réforme est selon lui le “choc externe”, positif, sans lequel une organisation ne peut jamais se remettre en question. Pas d’économie à attendre à court terme, toutefois : le processus a un coût que ne compenseront que plus tard les économies d’échelle.
Pour Valérie Chatel, DGS de Bourgogne Franche Comté, les réformes territoriales “ne simplifient pas le millefeuille mais obligent les collectivités à une coopération qui ne leur est pas naturelle [et qui implique de] partager une compréhension nouvelle de leurs rôles respectifs”.
La fusion des régions, le DGS de l’eurométropole de Strasbourg la vit d’abord comme un changement d’échelle. Capitale incontestée de l’Alsace, elle est devenue celle d’une improbable région Grand Est où coexistent trois systèmes urbains : Champagne Ardenne, le Sillon lorrain et l’Alsace. Une page est tournée, découvrant la “page blanche” où Pierre Laplane se réjouit de pouvoir travailler à l’écriture d’une nouvelle stratégie pour l’Eurométropole. Il faut sortir d’une posture de “suffisance” pour endosser un rôle d’animation au sein d’une gouvernance en réseau.
Résilience des départements, résistance les provinces italiennes
À l’exception du Rhône fusionné avec la métropole de Lyon sur le territoire de celle-ci, les départements transfèrent aux métropoles tout ou partie des 9 compétences désignées par l’article 90 de la loi NOTRe. En Gironde, comme en témoignent non sans complicité les DGS respectifs de la Métropole et du Département, Éric Ardouin et Laurent Carrié, l’accord a été rapidement trouvé sur un transfert minimal : les routes (obligatoire), le tourisme, les aides aux jeunes en difficulté et le fonds de solidarité logement confié à un GIP commun. Un transfert plus étendu aurait été difficile à absorber par la Métropole déjà bien occupée par la mutualisation de services avec les communes. Éric Ardouin observe que tous les départements ou presque ont opté pour des transferts a minima : la disparition annoncée du département n’est donc pas pour demain. “Ce qui ne tue pas rend plus fort”, rappelle Laurent Carrié : désigné “chef de file des solidarités humaines et territoriales”, le département peut “faire à peu près ce qu’il veut”, la seule véritable limite étant budgétaire.
À Lyon, Olivier Nys souligne que la Métropole parvient à équilibrer ses recettes et ses dépenses alors que cet équilibre est structurellement instable dans les départements. Il est selon lui plus rationnel que “le territoire qui reçoit la richesse porte aussi la solidarité [car] un territoire se définit par 4 facteurs souvent éclatés que la Métropole essaie de réunir : des richesses, une centralité, des solidarités et du développement.” En Italie, la suppression des provinces (échelon équivalent au département français) reste le point d’achoppement d’une réforme institutionnelle en chantier depuis plus de 20 ans et relancée par le gouvernement Renzi en 2012. La question sera bientôt tranchée par référendum. Comme l’explique Francesco Timpano, professeur d’économie et élu de Piacenza en Émilie-Romagne, la réforme redéfinira les compétences entre l’État, les régions et les communes. L’emploi devrait redevenir une compétence nationale, la santé et les transports reviendront aux régions. Pour le reste, les compétences des provinces seront transférées aux 10 ciWa metropolitana créées au 1er janvier 2015 ou, à défaut de métropole, à de grands territoires infra-régionaux (area vasta) sans personnalité juridique, sur le mode de la coopération intercommunale. Selon Valeria Fedeli, professeure à l’université Polytechnique de Milan, le fonctionnement harmonieux des métropoles est loin d’être garanti, notamment en raison d’oppositions culturelles et politiques locales. Elle interroge en outre la pertinence d’une réforme qui semble en décalage avec la réalité du fait urbain en Italie, et avec le fonctionnement de l’Union européenne dans l’attribution des fonds.
Métropolisation : une école de pragmatisme
“Gaston Defferre doit se retourner dans sa tombe !” plaisante François Langlois (Grenoble) après l’exposé de Vincent Bonnafoux et Étienne Brun-Rovet sur la mise en place, avec l’intervention de l’État, de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Il reste que, constate ce dernier, “les banderoles ont disparu. Plus aucun élu ne conteste le fait métropolitain”. Tandis que la nouvelle administration gère l’intégration de 6 ex-EPCI – un chantier gigantesque où le pragmatisme des services de l’État ne nuit pas – de nombreux élus ont déjà abandonné leurs oppositions pour s’emparer du projet métropolitain. Et il est bien réel : sur les 15 personnes de la mission de préfiguration, 14 travaillaient sur le projet et une seule sur la construction institutionnelle.
Vincent Aussilloux et Boris Le Hir présentent un rapport de France Stratégie illustrant parfaitement combien les métropoles sont efficaces pour créer des emplois et générer de la croissance. Même leurs zones périurbaines (extérieures) sont plus dynamiques que les secteurs multipolaires ou les communes isolées. Commentaire de plusieurs participants : la diffusion de l’effet métropolitain est donc un levier puissant de développement local ; elle appelle une gouvernance territoriale large, associative, aux antipodes de la stigmatisation inquiétante de la richesse des métropoles.
Sur le même sujet, les données présentées par Claire Charbit pour l’OCDE approfondissent les aspects d’organisation. “La question du périmètre est souvent posée, mais la réponse est impossible à trouver. Il faut être pragmatique, on ne peut pas faire comme si les institutions n’existaient pas.” La fragmentation nuit à la productivité, mais l’existence d’une gouvernance métropolitaine corrige beaucoup d’effets négatifs et agit comme une “machine à intégrer”. “Faut-il, demande Pierre Laplane, superposer un périmètre, des compétences et une gouvernance, ou rester flexible et travailler à ces différents niveaux ? Je crois que la seconde solution est la bonne”.
Jean-Marc Offner, directeur de l’agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, raille gentiment le “quiproquo consensuel” qui sous-tend les réformes territoriales en France, lesquelles visent deux ambitions antagonistes : la pertinence, plus facile dans la mono-compétence de type SIVOM (!), et l’intégration qui est son contraire. Empêtrée dans ces contradictions, la France passe à côté de la différence pourtant essentielle entre les notions de métropole, caricaturée comme “insulaire”, et de métropolisation, définie comme un ensemble de flux dynamiques.